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Trek du Cho La Pass et Vallée de Gokyo

Parc du Sagarmatha

 

Lukla -  Cho La Pass - Lukla

 

14 jours - Dénivelé positif: 4590 mètres

Les stats à la con:

Distance parcourue: 98 kilomètres

Poids du sac au départ: 17 kilos 400 grammes

Stock de snacks:  5 Mars, 8 Kit-Kat Chunky, 10 barres de céréales.

Point le plus bas: Phakding (2600m).

Point le plus haut: Cho La Pass (5400m)

Blessures: Ampoules basse consommation.

Yaks croisés : 723 183 929

5 jours et un faux départ. C'est ce que qu'il m'a fallu pour grifonner les premières lignes de ce carnet de route. Kathmandou la poussiéreuse m'a accueilli le 24 octobre, après un voyage relativement tranquille. J'ai pu quand même goûter aux charmes de la bureaucratie chinoise lors de mon escale à Chengdu, la capitale du Sichuan. Malgré les indications contraires à Paris, j'ai dû deviner qu'il fallait récupérer mon sac sur le tapis des bagages après avoir passé les services chinois d'immigration. Je me suis aventuré à quelques « Ni-ha » adressés aux douaniers en uniforme, sans succès. Ils étaient plus occupés à décrypter la photo de mon passeport d'un œil suspect. Une fois mon sac récupéré (délesté de mon duvet, perdu en chemin:-( ), le 2ème check-in m'a valu de vider mon sac (au sens propre) devant le monsieur rayons-x, la faute aux piles de ma lampe frontale. Ces contretemps, plus folkloriques qu'autre chose, m'ont au moins amené au détour d'une vanne sur la convivialité toute relative des services frontaliers chinois, à faire connaissance avec Erwan, un breton de mon âge qui découvre le Népal.

 

Dans l'Airbus d'Air China qui nous mène de Chengdu à Katmandou, une question demeure sur les lèvres de tous les occidentaux en quête de montagne : quel côté de l'avion aura le privilège de contempler l'Everest depuis le hublot ? À me fier à mes estimations basées sur une brochure d'Air China, mon siège 14L posté au dessus de l'aile droite est un bon spot d'observation. En fin de vol, ça se confirme. La plateau tibétain, lézardé par les immenses autoroutes commandées par les autorités chinoises, laisse place aux grands pics enneigés de l'Himalaya. Au milieu perce la cime de l'Everest, entourée de sommets bien familiers. Je cache pas que c'est avec fierté que je jouai les guides touristiques à mon voisin breton, indiquant le chemin du trek du camp de base en pointant les cimes du Lhotse ou du Pumori, ma montagne préférée du coin. L'arrivée à Katmandou s'est faite en douceur, à une surprise près : au moment d'arriver à mon hotel Potala, où j'avais séjourné il y a 3 ans, je tombe sur un bâtiment qui m'est totalement étranger. « I don't recognize the place. Has it changed ? », demande-je à l'accueil qui me répond d'un demi-oui à la népalaise. Toujours intrigué, je tombe le lendemain sur le « vrai » hotel Potala où je m'empresse d'emménager. Les jours qui suivent m'orientent vers une décision : je ne ferai qu'un seul trek, celui de la vallée de Gokyo que je m'étais promis de découvrir depuis la dernière fois, où j'avais dû renoncer faute à un dos meurtri par les deux mois du voyage.

 

La "réputée" piste de Lukla,

"l'aéroport le plus dangereux du monde" (sic)

Faut pas se rater

"Bordel, quand on rentre sur la piste."

Booba

1er jour

Lukla (2800m) - Phakding (2600m)

 

"Long time no see"

 

Ce titre fut la phrase que m'a répondue le patron du « Kalapatthar Lodge », quand je lui dis part avec joie que j'avais retrouvé le chemin de son établissement trois ans après. Cette journée, de Katmandou à Phakding, m'a donné l'agréable impression d'un retour à la maison, dans des contrées familières que je n'avais pourtant jusque là qu'arpentées qu'une seule fois. Tout était à sa place aujourd'hui, à commencer par le franc et beau ciel bleu et sans nuages, lavé de ses impuretés par l'orage de la veille. Chose rare, je peux contempler depuis le taxi qui m'emmenait à l'aéroport les cimes enneigées au loin, d'habitude dissimulées derrière l'épais nuage de pollution qui enveloppe la ville. Dans le brouhaha de la salle d'attente où s'entassent tous les passagers à destination des 4 coins du pays (et où j'avais passé 7 heures infructueuses deux jours auparavant, je retrouvai les deux Suédois, compagnons de mésaventure lors de notre vol annulé. Ils ont renoncé à leur plan audacieux de s'engager dans le trek de Jiri, le casse-pattes de 5 jours que devaient affronter les « anciens » du temps où Hillary n'avait pas encore eu l'idée de foutre une piste d'atterrissage au milieu d'une falaise à Lukla. Notre coucou de Sita se pose après un vol sans encombres. Premier constat : il fait beaucoup plus frais. Il reste même de la neige dans quelques recoins du tarmac. J'avais souffert de la chaleur lors des preimiers jours, mais c'était fin avril. Là, on est presque en novembre et l'hiver pointe tranquillement le bout de son nez.

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Deuxième constat : quelques petites choses ont changé sur le plan « administratif ». Disparue la célèbre « TIMS », carte officielle du trekkeur qu'il fallait acheter au départ du périple. Il n'y a plus qu'un simple permis d'entrée (2000 roupies) à payer à l'entrée. Je traverse Lukla à la mi-journée, sous un soleil radieux dont se délectent les gros chiens touffus du village, étalés de tout leurs longs sur les pierres de la grande rue, chauffées à blanc par le soleil de midi. Tout est très calme à cette heure. Des écoliers en uniforme reviennent à la maison pour manger tandis que des villageoises étendent le linge : le maigre contingent de trekkeurs passe quant à lui rapidement les deux check-points, avant de s'engager dans la grande descente qui marque le début du parcours. J'ai rapidement lâché mes deux compagnons scandinaves. Ils profitent de chaque pas et découvrent les lieux à leur rythme : ils ont bien raison. Quant à moi, je me sens comme une bête enfin libérée de sa cage, qui gambade joyeusement à l'air libre et pur. Je ne veux pas trop traîner non plus. Il est déjà tard dans une journée typique de trek, et les gros nuages accrochés aux montagnes lâchent quelques gouttes d'avertissement à mi-parcours. Je finis cette mise en jambes vers 14h et retrouve sans mal le lodge où j'avais déjà posé mon sac 3 ans plus tôt. La patronne, toujours blagueuse, n'a pas changé.

2ème jour

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Phakding - Namche (600D+)

 

Comme une mule

 

Plus d'une semaine au Népal et j'ai toujours pas encaissé le décalage horaire, pourtant modeste vue la distance (3h45). Je me suis ainsi retrouvé à tourner une fois de plus dans mon lit, après une « sieste » entre 21h et 23h30. Le froid du début de nuit (amplifié par l'humidité du torrent tout proche) ne dure pas, j'ôte vite les multiples couches dont je m'étais paré, en plus du gros duvet -10°C loué à Kathmandou. Quelques heures de lecture, un léger somme et une omelette au fromage plus tard, je me mets tranquillement en route pour Namche, sur un chemin que je reconnais toujours aussi bien. La froideur matinale ne dure pas, mais la température reste tout à fait convenable. Il fait frais, les gros groupes (beaucoup de Russes) sont vite dépassés et je retrouve les jolis ponts suspendus, caractéristiques de l'entrée dans le parc du Sagarmatha. À Monjo, je m'acquitte d'un nouveau droit d'entrée (3390R) avant de prendre sans le savoir le chemin des mûles peu avant le grand pont suspendu. Je me rends vite compte de mon erreur, mais les jambes tournent bien et il n'y a pas un chat sur le tronçon, autant en profiter, quitte à s'enfiler une bonne centaine de mètres de dénivelé en plus. Je finis par retrouver le sentier principal à hauteur du « grand pont », toujours aussi majestueux. La montée finale vers Namche, qui n'a rien perdu de ses grosses pentes, passe mieux grâce aux porteurs dont je suis fidèlement le rythme. J'arrive finalement à Namche vers 12h30, après 4h30 d'effort, et retrouve l'Ama Dablam Lodge et son patron, qui n'a pas pris une ride en 3 ans. Je lui montre la photo de groupe où toute sa famille, moi, et Andrew (mon pote sud-africain de mon escapade dans le Khumbu) prenions la pose sur sa terrasse. La « petite » d'alors, qui avait 14-15 ans à l'époque, n'a pas bien changé non plus. Le cliché les fait bien rire en tout cas, et c'est l'essentiel. Quant à moi, j'hésite encore sur mon itinéraire vers le Cho la Pass. Soit je reprends le chemin classique via Tengboche puis Dingboche, soit je prends directement la direction de la vallée de Gokyo. J'ai encore plus de 24 heures pour réfléchir puisque demain, c'est journée d'acclimatation. J'irais sûrement faire un tour à Khumjung. D'ici là, je m'apprête à affronter le froid de ma chambre. Il fait déjà -5° ici, en début de soirée. Ça promet pour la suite.

3ème jour

Namche

 

Beau linge

 

Première nuit (presque) complète, enfin ! Tout va bien ici, devant le cinéma à ciel ouvert qu'est Namche Bazaar. Le massif du Kuongde, qui fait face à l'immense amphithéâtre sur lequel est bâti Namche, est un prélude sublime à ce qui attend les trekkeurs en route vers les hauteurs du Khumbu. Pour cette journée d'acclimatation, je décolle délesté de mon gros sac vers Khumjung, empruntant le chemin des porteurs, « droit dans la pente ». Les 3500 mètres ambiants se font ressentir : le cœur s'emballe vite, les jambes brûlent, bref, rien que du classique. Le mal de tête avec lequel je m'étais couché la veille a disparu. C'est rassurant, mais ça va pas m'inciter pour autant à forcer l'allure. Les drapeaux de prière flottant au vent m'indiquent que j'approche de Syamboche et de la colline qui la surplombe, offrant un premier panorama splendide sur toute la vallée menant aux contreforts de l'Ama Dablam, Lhotse et Everest, dont je peux contempler les cîmes dégagées. Un groupe d'Anglais me fait jouer (une nouvelle fois) les guides touristiques. Je leur apprends à repérer (et prononcer) l'Ama Dablam, Thamserku, et autres.. leur dispensant au passage quelques indices sur la journée de demain et l'éprouvante montée vers Thengboche, dont j'aperçois le monastère dans le lointain.

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De retour à Namché, je tape la causette avec Tim, un Anglais qui revient d'expédition infructueuse sur l'Ama Dablam. Au fil de la conversation, je m'aperçois que son pote à côté est une « pointure » qui a déjà vaincu l'Everest deux fois, alors que le Népalais à ma droite est le frère du sherpa le plus renommé du pays, avec à son actif les 14 8000 mètres de la planète. Le monte est petit à Namche. En saison, les plus grands noms de l'alpinisme s'y cotoient tranquillement. Pour le modeste apprenti solitaire que je suis, leurs conversations sont un délice. La discussion dérive sur le livre que je dévore : « The Beckoning Silence », un récit d'aventures en haute altitude, par Joe Simpson, auteur de « Touching the Void » (La Mort Suspendue). « Joe ? Aahh... C'est un trompe-la-mort » me lance t-on comme si l'on parlait du collègue d'à côté, avant de m'expliquer qu'un bon ami à eux a réalisé le film, où Tom Cruise jouait le personnage principal. Je traine avec du beau monde sans le savoir, c'est plutôt marrant. J'ai également profité du beau et chaud soleil de la mi-journée pour prendre une douche chaude complète, ma dernière avant... bref, je ne finirai pas ma phrase pour d'évidentes raisons de décence hygiénique. J'ai également lavé un tricot. Rien de fou, mais dans une journée de repos, c'est le but. J'ai réfléchi à mon parcours : je suivrai le tracé « classique » nord est via Dingboche. C'est plaisant de retrouver des gens qui suivent le même trajet que toi. D'autant plus quand on voyage seul.

4ème jour

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Namche (3400) - Debuche (3850)

 

Chargé

 

La fin d'après-midi à Namche fut bien plus captivante qu'attendu. Avant le dîner, Tim s'est joint à moi, rapidement accompagné de Peter Morley. Connaissant le pedigree du bonhomme que j'ai en face de moi, je le lance timidement sur l'Everest et la haute-montagne. Dès lors, je ne lâche presque plus un mot. Il me raconte en face à face entre deux gorgées de thé son expédition de 2006, la longue route jusqu'au toit du monde mais aussi et surtout ses impressions plus que contrastées quant à la croissance du tourisme de très haute haute montagne. « You know, Base Camp 2 is literally a toilet right now », me décrit-il à propos de l'escale obligatoire en chemin vers l'Everest, et de l'affluence qui explose chaque année un peu plus. Sa voix se fait encore plus sombre au moment où il me décrit « l'immense désastre » sur le point de survenir sur les pentes de l'Everest. « There were almost 200 people between the South Col and the summit », me raconte t-il. En clair : 200 personnes à la queue-leu-leu à plus de 8000 mètres d'altitude, bien au dessus de la « zone de mort ». « I'm telling you, soon, something bad will happen and il will be a complete disaster », « bien plus grand que celui de 1996 » (année de l'expédition mortelle qui avait coûté la vie à 8 alpinistes, accident notamment raconté dans le best-seller de Jon Krakauer « Into Thin Air » (qu'on trouve absolument PARTOUT dans chaque boutique de Katmandou, ou plus récemment dans le film « Everest »).

« Il n'y a plus rien de normal sur l'Everest. C'est un non-sens » poursuit-il, évoquant le cas d'une proposant une offre « unlimited », avec un nombre illimité de clients (!!!) pour gravir l'Everest, moyennant la modique somme de 90.000$. Un si grand nombre de personnes sur la même ligne, à de telles altitudes, a de quoi interpeller. Lui en tout cas a décidé : « I won't do it again. I don't want to summit Everest with 200 persons around me », me lâche t-il. Il me décrit également l'état « atroce » de l'équipement sur les voies de l'Ama Dablam, dont il revient juste. Loin d'être « cyniques » ou « pisse-froid », ses paroles sont captivantes et essentielles pour bien comprendre l'économie du Khumbu. Les « agences occidentales » en prennent pour leur grade, comme les autorités népalaises et leur gestion... opaque des devises étrangères qui rentrent dans leurs caisses. « C'est pourtant leur atout » déplore t-il. Malgré le ton grace de ses paroles, la soirée est extrêmement instructive. Je la finis avec Tim (dont j'apprends est n°3 d'une grande entreprise de batiment britannique) qui finit son « chocolate porridge » pendant que je digère mon copieux dîner. Le lodge est archi-plein ce soir, la bonne ambiance est seulement perturbée par l'intervention agressive d'un touriste débarquant de nulle part, et s'emparant d'une chaise pour sécher ses affaires près du poële à bois, malgré les interdictions placardées sous ses yeux. Le patron règle vite l'affaire, malgré le caractère hautement antipathique du bonhomme. Le lendemain, je me lève plus tard que la foule avant de prendre la route de Tengboche. Le sentier en balcon, qui fait face à l'Ama Dablam n'a rien perdu de sa superbe. J'ai entendu que Tengboche était « full packed » aujourd'hui. Je force donc le pas dans l'épuisante montée finale, dont le vois le bout vers 13h. À Tengboche, mes craintes sont confirmées : tout est complet. Je m'accorde une pause de 10 minutes avec les 2 québécois de Namche, lâchant quelques vannes avant de repartir vers les villages en contrebas. Après une raide descente dans la forêt de rhododendrons suivant Tengboche, je trouve refuge dans un lodge de Debuche. Ca fera toujours ça à marcher en moins. L'après-midi est longue. Le lodge, niché en fond de vallée près de la rivière, n'est pas spécialement accueillant. Heureusement, je trouve des compagnons de galère avec 2 Belges (père et fils) et un Anglais ayant passé 25 ans en France. Le plus âgé des Belges semble préoccupé par son état, se disant affecté par l'altitude. Il laissera d'ailleurs son assiette quasi-pleine, ce qui n'est jamais bon signe. Quant à moi, j'engloutis mon plat sans broncher mais un mal de crane persistant me suit. On est presque à 4000 mètres mine de rien. Ca vaut bien 2 Doliprane avant de dormir.

5ème jour

Debuche - Dingboche (4410) 

 

La porte d'entrée

 

Très bonne nuit de sommeil à Debuche. L'attitude y est pour quelque chose : je n'ai pas arrêté de rêver. J'ai même eu l'impression bizarre d'être conscient dans un rêve, sans pouvoir en sortir. D'habitude, dès que tu prends conscience que t'es en train de rêver, tu réveilles. Pas là. Je laisse aux spécialistes d'Inception le soin d'élaborer leurs théories. Le lendemain matin, je décolle dans la fraîcheur matinale de Debuche après un Tibetan Bread au miel. Je dépasse vite les nombreux groupes avant le pont qui nous fait passer sur la rive gauche de l'Imja Khola, sous un soleil brûlant (au sens propre). J'ai pensé à protéger mon nez (l'habituel victime/souffre douleur) des UV, mais là, c'est ma nuque qui a pris, et je la sens bien ce soir. Cette journée est celle du passage de la moyenne à la haute-montagne. Passé Sahore et la limite des 4000 mètres, les arbres disparaissent subitement et laissent place à une steppe rocailleuse battue par le vent qui remonte la vallée. Plusieurs sherpas luttent pour tenir debout à cause de leurs paquetages irréels, qui dépassent souvent les 2 mètres de large pour 3 mètres de hauteur. Mon sac me suffit largement, et je parviens à le hisser péniblement dans la raide (mais brève) montée vers Dingboche. Sur le flanc droit de la vallée, au pied de l'Ama Dablam qui me surplombe désormais, une immense langue de pierre blanche découpe la montagne en deux. J'apprends d'un sherpa en pause en même temps que moi que le grand éboulement date du tremblement de terre d'il y a deux ans, qui a littéralement avalé un pan entier de la montagne. Arrivé à Dingboche, je trouve refuge au « Himalayan Culture Lodge », tenu par un adorable gars bien plus jeune que moi, qui virevolte entre la cuisine, les chambres et sa fille de 8 mois qui déambule joyeusement dans son trotteur au milieu de la salle à manger. Après une petite, je m'équipe de mon attirail de haute-montagne pour la première fois, direction les pentes du Nangkar Tsang, qui surplombe Dingboche. Les flocons qui me fouettent le visage me font me sentir dans la « vraie » montagne, changeante et capricieuse. Des épais nuages qui haute-vallée transperce par éclairs cime de Cholatse, illuminée par le soleil du crépuscule. Je me délecte de ces moments seul dans le froid himalayien, face aux géants que je commence à connaître. La soirée est agréable. Autour du poële, un groupe brésilo-austro-polono-français se forme, et on ne voit pas l'heure passer. Je prends également des nouvelles du Cho La Pass, que j'ambitionne de franchir lundi, dans 3 jours. Les locaux finissent de me rassurer sur le parcours. Juste une partie « délicate » de glacier à gérer, rien de plus. Je finis ces lignes alors que je suis le dernier touriste à peupler la salle à manger. La mère de la petite fille s'est installée à côté pour lui donner son dîner à la petite cuillère, tandis que les deux guides s'envoient leurs copieux dhal-baats sur la table à côté. A le vivre tous les soirs, c'est sans doute le moment de la journée que je préfère, lorsque le tumulte rend sa place à la normalité et qu'on réalise subitement qu'ici aussi, les gens vivent, dans une réconfortante banalité.

 

 

Glissement de terrain - Dingboche

6ème jour

Dingboche (4410) Dingboche-Nangkar Tshang – Dingboche

 

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Je l'avais presque oublié celui-là, l'air froid et archi-sec de Dingboche met une nouvelle fois ma gorge à l'épreuve . L'impression d'avoir une angine qui te brûle les amygdales n'est pas le meilleur côté du trek mais il faut faire avec. Je ne dors presque pas de la nuit, la faute à cet air glacial et dépourvu de toute humidité. C'est pas très grave, le reste de l'organisme, en particulier le système digestif, et c'est bien l'essentiel. La lumière du jour finit de me sortir de mon sommeil précaire. Inutile de regarder à travers la vitre : une épaisse couche de givre bloque ma vision vers le Nangkar Tshang, que je vois de nouveau affronter. Cet impitoyable mur de terre fouetté par la bise est un « incontournable » des trekkeurs en quête d'acclimatation. La montée, taillée droit dans la pente, ne laisse aucun répit, et rares sont ceux qui se hissent à son sommet, perché à plus de 5600 mètres. En chemin, je recroise l'éternel duo de québécois, ainsi que le groupe d'Anglais rencontré sur les hauteurs de Khumjung, qui s'ambiance sur du Electric Light Orchestra pour mieux faire passer l'effort.

 

La tâche du jour est ingrate : pas de récompense, pas d'objectif précis à atteindre, juste se hisser assez haut pour mettre son corps à l'épreuve de l'altitude, au seuil de la « zone rouge ». Le vent glace le corps tandis que le soleil se charge de griller les centimètres carré de peau non protégés. Les nuages de poussière soulevés par les bourrasques s'engouffrent partout, même sous mes lunettes pourtant bien plaquées contre mes yeux. Entre deux volutes, je distingue au loin l'impressionnante silhouette du Makalu (4ème plus haut sommet du monde), bientôt engloutie sous les épais nuages de la fin de matinée. Je retourne au lodge vers 12h30, après une descente raide et éprouvante dans la poussière, où les appuis sont précaires. L'après-midi passe tranquillement, avant que je ne retrouve mon « groupe du soir », avec lequel on se marre bien. Dolma, la petite fille de 8 mois « mascotte » du lodge, est malade aujourd'hui. Alors que nous finissions notre thermos d'eau chaude, un guérisseur est venu s'occuper d'elle. Sur les braises sorties du poële à bois, il dépose des herbes et plantes dont il fait respirer les volutes à la petite, qui n'apprécie pas vraiment. La séance est conclue par une récitation de manis, prières népalaises écrites sur un manuel enveloppé dans un drapeau. Les deux guides d'hier viennent d'arriver pour le repas. Pour eux aussi, c'est l'heure.

 

Népal - Dingboche

Dimanche 5 novembre - 7ème jour 

 

Dingboche – Dzongla (6h30, +500, 4900m)

 

Dans le dur

 

Ouaou, putain, ça fait mal. Je m'étais préparé à l'arrivée la plus élevée de mon parcours, mais c'est quelque chose. Me voilà à Dzongla, au pied du tant convoité Cho La Pass, que j'ambitionne de franchir demain. La marche du jour, commencée de très bonne heure à Dingboche, fut éprouvante. La première partie, que je connaissais déjà, est passée sans problème. Remonter la vallée plongée dans le plus parfait des silences, seulement brisé par les cloches des yaks, est une sensation enivrante. J'arrive à Thokla sur les coups de 10h, avec la ferme intention de plier l'affaire pour midi. Peché d'orgueil : j'entre dans des terres « inconnues », qui me réservent bien des surprises. Le sentier pour Dzongla coupe à travers la montagne, par un chemin instable et très pentu, qui demande la plus grande concentration sous peine de dévaler le ravin. Le lac glaciaire au pied du Cho La Tse se révèle au bout d'une demi-heure, splendide et austère à la fois. Le vent glacial qui remonte la vallée me saisit, et il faut écourter ses pauses sous peine de se transformer en frigo. L'étroite bande de terre à flanc de montagne part souvent en dévers, traversant des pierriers piégeux, qui plongent dans le bleu gris du lac. Personne à des kilomètres à la ronde, il faut se montrer prudent. Au bout de 5 heures de marche, j'aperçois les toitures de Dzongla, au fond de la haute vallée. Le reste est un calvaire.

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L'altitude me plombe sur place. Pour la première fois, mon sac paraît me peser des tonnes. Le « soulagement » relatif d'une pause est vite remplacé par le supplice de la remise en marche. Mes jambes brulent comme jamais, tandis que ma tête résonne comme un tambour à chaque pas un peu brusque. La barre des 4800 mètres est terrible, et je mets plus d'une heure à parcourir le dernier kilomètre, trainant ma peine au milieu de la neige, qui désormais ne fond plus. Je m'échoue dans le premier lodge, où je trouve un lit. Je passe près d'un quart d'heure immobile, mes mains glacées sur les tempes, tachant tant bien que mal d'encaisser l'effort produit. Je ne m'attendais pas à une telle claque. La chaleur de la salle à manger (chauffée dès le midi au poële) me remet d'aplomb. Pas question de regarder à la dépense ici, je m'envoie deux Lemon Tea au miel et un hashbrown que je tombe avec appétit. Encore une fois, c'est l'essentiel.

 

 

Vers Dzongla - Cho La Tse

Lundi 6 novembre - 8ème jour

Dzongla – Dragnag via Cho La Pass (ALT. Max 5400m)

 

Là-haut.

 

Voyager seul, c'est aussi la possibilité de se retrouver avec une équipe internationale de 10 personnes, formée en un quart d'heure autour d'un Lemon Tea. J'ai passé la fin d'après-midi à discuter avec Julia, représentante du Washington State d'une trentaine d'années, et bien branchée montagne (comme tout le monde ici). J'appris au détour d'une conversation sur le ski qu'elle était amie avec l'une de mes idoles de ski freeride, Drew Tabke. Je lui racontai alors plein d'entrain l'épisode de la finale du Freeride World Tour 2014 (ou 2015) où moi et mes potes montagnards avaient jubilé à distance en assistant à un énorme tout droit dudit Tabke dans les pentes vertigineuses du Bec des Rosses, en Suisse. Je n'ai pas échappé à l'explication méthodique du « Dréééééé », particulièrement en vogue chez certains de mes amis skieurs, surtout haut-alpins. (Mise à jour : le skieur en question n'était finalement pas Drew Tabke, merci Loïc).

 

Avant le diner nous ont alors rejoint un bon groupe d'amis à Julia. Lindsay, américaine elle aussi, et trois Canadiens : Jordan, Joe et Curtis, de Vancouver. Se joignent ensuite autour d'une très grosse partie de cartes, Lio et Idam, israëliens, et Katherine, néo-zélandaise qui voyage (aussi) en solo, mais avec porteur.

La soirée se termine dans une succession de « Mafia », version internationale du loup-garou, entrecoupée de bons moments de rigolade qui nous font presque oublier l'altitude. Juste avant d'aller au lit, Lindsay nous exhorte à sortir dans la nuit glaciale. Elle a bien raison : la (presque) pleine lune, à un jour près, illumine la face titanesque du Arakam Tse, qui surplombe Dzongla. La vision est quasi-irréelle. Dans la nuit sans nuages du Khumbu, la montagne frappe par son gigantisme, me donnant l'impression d'être plongé dans un immense négatif photo. Inutile d'essayer de prendre quelconque photo avec mon modeste matériel. Je me contente juste de savourer le spectacle en silence, avant une courte nuit de sommeil qui nous fait décoller à 6h du matin.

 

J'anticipe un peu le départ, accompagné de Julia, Katherine et son guide, avec qui je tape la causette avant que la pente ne s'élève trop. Je marmonne quelques passages d'opéra pour me motiver, notes vite repérées par le porteur, qui m'incite à continuer. Après une partie partie relativement tranquille, le chemin se cabre subitement dans un mur de rochers, dont certains passages relèvent de la vraie escalade. Grisé par cette section plus « technique », j'oublie les 16 kilos amassées sur mon dos et dévore cette montée qui mène au glacier. Katherine sort alors ses mini-crampons, sur recommandation du porteur, qui lui demande presser le pas en raison des chutes de pierres. La portion « technique », parfois dangereuse, consiste en 400 mètres de roche et glace vive mêlées en dévers, avec un apic d'une vingtaine de mètres sur le glacier criblé de crevasses. Les sherpas en basket chargés comme des mules et nous nous donnons des coups de main mutuels pour franchir les points délicats, avant d'entrer dans la fournaise du glacier chauffé à blanc. Dans les 20 derniers mètres, j'emprunte un passage bien engagé et vertical... J'aurais pu finir ce satané « Cho La Pass » par la voie classique, mais l'envie d'en profiter au maximum , dans des vraies conditions de haute-montagne (c'est à dire dans la neige et les parois glacées) était trop forte. Le pied posé sur le caillou le plus élevé du « Cho La », je pousse un grand cri de satisfaction avant de remercier le porteur, qui nous a guidé dans la montée. Je sors ensuite de sa cage Roger, mon célèbre perroquet gonflable qui m'avait accompagné sur les routes du Tour de France et pendant les festivals de l'été. Lio et Idam sortent quant à eux leur girafe et leur pingouin en peluche.L'animalerie improvisée fait bien marrer l'assistance, nous en premier.

 

L'euphorie nous fait oublier les 5300 mètres ambiants, mais nous sommes vite rappelés à l'ordre par la gueule de la descente, vertigineuse sur sa première partie. Je suis revenu au Népal pour CE Cho La Pass. Il s'agit maintenant de le valider comme il faut. La glace, recouverte par endroits par la couche de neige fraiche tombée dans la nuit, est un vrai piège qui nous guette à chaque pas. Il s'agit de la portion la plus délicate du parcours, où certains guides conseillent l'utilisation de crampons. Les nombreux trekkeurs dans mon cas (sans crampons) doivent concentrer toute leur attention sur cette ceintaine de pas délicats qui nous conduisent vers une longue portion de moraine, moins glacée mais tout aussi pénible. Je reprends mon récital sur du Verdi et du Bizet, ce qui a le don d'enthousiasmer le groupe, qui me gratifie du surnom de « Singing Frenchie ». L'énergie commence toutefois à manquer, je le sens. L'imposant paquetage que je me suis imposé tout seul me fait souffrir. Lio et Idam tentent de m'apporter un peu d'aide lorsqu'ils me dépassent, dans une montée que je grimpe à l'agonie, presque à l'arrêt, dans le vent glacial qui remonte la vallée. Un grand drapeau de prières claquant dans le vent marque la fin de la dernière colline, avant la descente finale vers Dragnag. L'occasion de changer de registre pour Lindsay et moi, qui improvisons à base de trompette jazz et Louis Armstrong. Je touche au but vers 14h30, après 8 heures d'effort, tandis que certains, plus vaillants, prennent le chemin de Gokyo, à 2 heures d'ici, après un gros déjeuner. Lio, Idam et Katherine choisissent également de poser le camp ici. L'endroit est magnifique. Le lodge borde le ruisseau de montagne qui cort paisiblement le long de l'entrée. Je profite du beau soleil de ce milieu d'après-midi pour aller me laver les pieds dans l'eau à 4 degrés. Un luxe, un vrai. Notre tablée de 4 passe ensuite la soirée à jouer à un jeu de cartes captivant, appris par Lio, dont certaines règles se rapprochent de notre bonne vieille belote contrée. Journée réussie de A à Z. Merci la montagne, merci les rencontres.

 

 

Cho La Pass

Mardi 7 novembre - 9ème jour

 

Dragnag

 

Ça « devait » arriver à un moment, mais là, le timing est dur. Épuisé de mon Cho La Passe et toujours bien affecté par l'altitude, (gorge douloureuse, maux de tête permanents), je suis réveillé vers minuit par le spectre le plus terrible du voyageur : les crampes d'estomac. Pas besoin de détailler les heures qui suivent, qui me laissent sans la moindre once d'énergie. Au petit matin, impossible de bouger, encore moins de sortir de mon sac pour une journée de marche vers Gokyo. Les batteries sont vides, je dois renoncer. Le reste de la journée n'est qu'anecdote. Mes 3 compagnons d'hier sont partis pour Gokyo, et je me résigne, vu mon état de faiblesse à passer une 2ème nuit à Dragnag. Exit l'ascension du « Gokyo Ri », que j'espérais pour le lendemain. Quand on est seul, on ne peut pas tricher avec sa santé, je le sais. J'avais tellement ce Cho La Pass en tête que mon organisme a cédé sitôt l'objectif atteint. Je sais que cette « rupture » est bien plus dûe à la « pizza » pas cuite que j'ai inconsciemment osé manger la veille, mais qui sait... Après l'euphorie partagée du sommet, je replonge subitement dans mes habitudes de trekkeur solitaire, mais fortement affaibli. Ma nuque est raide comme je mais, je ne descends pas le quart de mon assiette de riz blanc. Je concentre surtout ma convalescence sur la réhydratation, à coups de Black Tea et des sachets de poudre énergisante type Gatorade qu'on m'a laissés en cadeau d'au-revoir. Une bonne nouvelle au moins : je passe ma première vraie bonne nuit de sommeil, m'endormant sur « Animals ». Rien de grave. Pig man big man, haha, charade you are.

 

 

Vallée de Gokyo

Mercredi 8 novembre - 10ème jour

Dragnag (4700) - Dohle (4200)

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Epreuve de force

 

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Je me réveille presque reposé, mais ma nuque toujours transie me rappelle que la journée va être éprouvante. Je ne mange qu'un morceau de toast avec deux tasses de thé. Sur les coups de 9h, je me mets en route avec un objectif : descendre la vallée de Gokyo jusqu'à ce que mon corps m'ordonne d'arrêter. Malgré l'heure « tardive » de départ, le froid est accablant. Le sentier, désert, longe un torrent prisonnier de son épais drap de glace, malgré les assauts du soleil qui ne réchauffe rien ce matin. Je dois faire attention. Mon vrai dernier repas est déjà loin, et les conditions, température et altitude combinées, m'appellent à la plus grande concentration sur chaque pas. Je croise le premier signe de vie au bout d'une heure et demi : l'épais nuage de poussière dégagé par un yak blanc se roulant dans la terre, malgré la pente abrupte. L'équilibre chez eux, c'est quelque chose. Le mince entrefilet de terre qui traverse le flanc de la « colline » coupant la vallée de Gokyo en deux est périlleux par endroits, mais j'en vois le bout vers 11h30, lorsque j'aperçois, après le pont en rondins, le sentier principal sur lequel flottent les points rouges et jaunes des sacs portés par les sherpas. Déjà entamé par l'effort, j'atteins Macchermo vers midi, où je m'envoie un énième Black Tea, avant de demander la durée de marche jusqu'à « Dohle » au patron : « two hours and a half, easy », me répond-il dans un sourire. En temps normal, rien d'insurmontable. Dans mon état, c'est un coup de massue. Je me mets alors en tête d'atteindre le village suivant et d'aviser ensuite. L'arrivée à chaque village est synonyme d'une raide descente puis remontée, qui tranche avec le reste du parcours en balcon.

 

S'il est presque imperceptible à l'arrêt, le vent me congèle dès que je mets le nez sur les parties exposées. Peut-être dans un effort louable de méthode Coué, j'étais parti avec l'idée que j'aillais aimer les retrouvailles avec ce froid himalayien si sec et particulier. Aujourd'hui, il me transperce de part en part, ni le soleil ni les efforts en montée (d'habitude rapides vecteurs de chaleur) n'y changent quelque chose. La température oscille entre 0 et -5°C, rien de fou vue l'altitude, mais là, ça fait mal. Je retrouve un peu de confort au cours d'une brève discussion avec un conducteur de yaks, qui mène sa caravane vers Dohle. « Come to Dohle View Point, my sister owns the place ». La suggestion donne comme un élan de motivation crucial : j'ai un lit qui m'attend si je rejoins Dohle. De toute façon, je n'ai pas trop le choix. Lhabrema , le dernier village entre moi et Dohle, n'est littéralement qu'un champ de ruines, tandis qu'un dernier lodge marque la descente finale vers Dohle. Au prix d'une ultime « descente-montée » épuisante, je touche au but vers 14h. À peine le temps de dire à la patronne que « Your brother told me to come here », elle s'empressait de me montrer ma chambre. Une toilette plus tard, je m'échouai dans la dining-room, bientôt chauffée par le poële dopé aux bouses de yak. J'espère atteindre Namché demain, au terme d'une journée de « montagnes russes ». Le mur entre Phortse Tenga et Mong m'avait déjà marqué (au sens propre) il y a trois ans. Peu de chances que la sensation de demain ait bien changé.

 

Jeudi 9 novembre - 11ème jour

Dohle-Namché

 

Redescente

 

Les conversations de lodge partent souvent de la même question : après avoir croisé le regard du trekkeur déjà installé sur la banquette, ou qui vient de passer le pas de la porte, je laisse toujours un temps de latence. 5 secondes, 5 minutes... Je connais trop bien maintenant le besoin de récupérer en silence pour brusquer les échanges. « Way up or way down ? », voici la « porte d'entrée » traditionnelle des discussions dans le Khumbu (et ailleurs). C'est marrant parce que 30 secondes après avoir écrit ces lignes, un sympathique Ecossais me posait mot pour mot la même question. Bref. Ce fut la même chose hier, avec un couple hollandais, lui artiste peinte, elle ancienne infirmière, avec qui nous avons épilogué sur les courses sur canaux gelés aux Pays-Bas (dont la plus célèbre n'a plus eu lieu depuis 1997..) ou les techniques de peinture à l'huile. Je suis enfin pleinement dans le rythme pour de bonnes nuits de sommeil. Peut-être suis-je habitué au froid qui tombe sur les « chambres » sitôt le soleil tombé derrière les montagnes. Ce n'est visiblement pas encore le cas pour ce groupe de Français « on the way up », effrayés par la température des dortoirs à l'heure du dîner. Quelques heures après, je me lâchai tout un « Oh ça vaaaa » en entrant dans mon 5m2 de bois contreplaqué, surpris par la quasi « tiédeur » des lieux (bon faut pas déconner non plus, y avait quand même du givre sur les vitres). Ma nuit, royale, se passe au rythme des innombrables « altitude dreams » qui se bousculent dans mon cerveau. Du peu que je me rappelle, je me faisais virer d'un bar à cause d'un pogo trop appuyé avec de marquer en finale de Ligue des Champions jouée sur les dalles de la Place des Cardeurs d'Aix-en-Provence. PTDR.

 

Au matin, je prends de nouveau le temps de laisser partir toute le monde afin de profiter de mon petit-déjeuner, seul, dans la salle à manger baignée par le soleil. Le couple qui gère le lodge, et leur fils d'une douzaine d'années, fait de même, dans le calme. Un trekkeur solitaire jouit d'un statut légèrement particulier, entre distance au premier abord et sympathie grandissante au fil des heures. S'il n'y a plus que moi comme « étranger » dans le lodge, tout le monde retourne à ses occupations normales, comme si je faisais partie du décor. Cette sensation est très agréable, et c'est dans ces conditions que les conversations les plus spontanées surviennent. Vers 9h, je quitte l'esprit léger le « Dohle View Point », un peu trop puisque le « junior » du lodge dévale en claquettes la pente le séparant du sentier en contrebas pour me rendre mes bâtons, oubliés sur l'entrée. La séance de « montagnes russes » redoutée hier s'avère bien plus clémente que prévue. Le thème du jour était plutôt de gérer l'ouverture du coupe-vent. Passages en sous-bois, portions exposées puis abritées, soleil qui chauffe puis joue à cache-cache dans les nuages, descentes abruptes puis montées « murales » : il fallait bien gérer le moteur aujourd'hui, éviter la surchauffe sans qu'il ne prenne froid. Malgré mes efforts pour l'éviter, j'ai un bon mal de gorge ce soir. Pas grave. Après l'ascension vers Mong La, je retrouvai la splendide plongée (en balcon) vers le dernier « village » avant la grande procession vers Namche. À plusieurs reprises je m'arrête, pour regarder l'Ama Dablam, comme une vieille connaissance à qui je tourne désormais le dos. La « playlist » qui m'accompagne est celle de mon voyage en Patagonie, et dans ces dernières vraies heures de trek, je retrouve des sensations familières, celles qui t'envahissent quand le chemin touche à sa fin, et que les pires et meilleurs moments s'équilibrent pour ne laisser dans ton esprit qu'un prodigieux sentiment de liberté. Le fait d'avoir renoncé au Gokyo Ri ne m'affecte en rien. Je me réjouis presque de cet imprévu, venu renfocer l'inconnu de ces jours en montagne. Décider de tout sans n'avoir de comptes à rendre à quiconque, telle est la vraie liberté. Parfois lourde à assumer dans la vie de tous les jours, elle est ici un formidable carburant. Les dernières gouttes me mènent aux stupas qui balisent le chemin vers Namché. Je sonne le moulin à prières à l'entrée du village, croisant les écoliers en uniforme qui sortent de classe. Mon « Ama Dablam Lodge » n'a pas changé, et je retrouve « ma place » en milieu de banquette, bientôt rejoint par la grand-mère de la famille, qui reprend ses récitations de prières, le regard posé sur la montagne.

 

Epilogue

 

Le joueur de sarangi repasse une énième fois, inlassablement, dans la rue piétonne qui s'éveille à peine. Sur la terrasse en balcon, une femme en tablier dépoussière les tables basses en sifflotant, et replace les coussins sur les sièges en osier. Il faut voir Katmandou le matin. Quand les volutes d'encens flottent au pas des portes, couplés aux lueurs chancelantes des bougies de papier posées à même le sol. Cette nouvelle balade m'interpelle par sa quiétude. Ce n'est pas la réalité de la ville, je le sais, mais en ce lundi matin, tout paraît si tranquille et reposant. Même les motos ne klaxonnent plus. Les coups de marteau du ferronnier, qui s'affaire dans son atelier à remettre en état de vieilles pièces rouillées, ne résonnent même pas dans mes oreilles. Je fais un détour pour aller voir ce grand mur d'escalade, que gravit sans efforts une petite fille d'une douzaine d'années, sous l'oeil attentif de son père qui laisse filer la corde sous ses doigts. « Un des rares endroits de distraction ici quand on voyage avec ses quatre filles », me lâche t-il. « Avec la visite des temples ».

 

Il est vrai que la vie dans cet hypercentre, grouillant la nuit et si calme le jour, n'incite pas vraiment à la bougeotte. Il faut déambuler sur le toit fleuri de l'hôtel pour se rendre compte qu'à l'ouest, la colline de Syambu et le grand stupa qui trône à son sommet n'est pas si loin. Au nord, une cime blanche immaculée perce dans le lointain, rappelant que le Langtang se dresse à la sortie de la vie tandis qu'à quelques centaines de mètres, un curieux ballet de rapaces noirs tournoyant en cercle attire mon attention. A vrai dire, je dois admettre que ma soif de découverte en milieu « urbain » est bien moindre que la dernière fois, lorsque Katmandou m'était complètement inconnue. Un Allemand rencontré à Lukla m'a bien parlé d'un temple où on pratique les sacrifices d'animaux, mais cette perspective ne me chauffe pas plus que ça. Ces trois semaines furent bien plus « accompagnées » que je ne l'aurais pensé. Pas une surprise non plus, tant le contact est facile en de telles circonstances. Là, Jay, un néo-zélandais qui vient d'arriver sur zone m'a donné rendez-vous pour des bières, à je ne sais pas quelle heure.

 

Le lendemain, je me rends à Swayambhunath, à une demi-heure de marche, histoire de redire bonjour à l'imposante et bruyante colonie de macaques qui peuple les environs du célèbre stupa. Le trajet jusqu'aux raides escaliers qui mènent au temple n'est pas compliqué. Tout en haut, je retrouve le joyeux chaos des hordes de singes courant et sautant de toute part, au risque d'effrayer les moins habitués. Je redescends par un escalier, bien moins fréquenté, où je retrouve le silence. Assis au pied d'un arbre, un jeune couple népalais profite du coucher de soleil sur Katmandou. Je les salue et poursuis mon chemin.

Images, vidéos et textes: Christophe Chafcouloff.

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Christophe Chafcouloff

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