top of page

CHAPITRE 1 - DECOUVRIR
Printemps 2014

​

 

Vie active

 

La sortie des études est un moment particulier. Certains se lancent, d'autres non. Certains s'installent, d'autres pas encore. Certains n'attendent qu'une chose: basculer dans la "vie active".

Mais quel est donc ce mot ? N'y a t-il pas plus réducteur que de confiner "l'activité" au sens accepté, l'économique, celui-la même qui marque la différence entre intégrés et ceux en voie, ou non, de l'être.

J'eus la chance de pouvoir choisir une autre vie active, celle de l'inconnu.

Passionné de montagne, de sport, et initié très tôt au voyage, ma fascination pour les hautes cimes me conduit presque spontanément vers la mythique muraille de l'Himalaya, que je traversai en solitaire d'Ouest en Est, deux mois durant. Au fil de mes rencontres d'avant-départ, d'aucuns m'évoquèrent la nécessité d'être accompagné, d'explorer ces contrées aux côtés d'une âme prête à partager enthousiasme, euphorie, doutes, émotions.

Tout en comprenant leur raisonnement, je leur répondis que je ne pouvais envisager ce périple autrement que seul. Connais toi toi-même disait l'autre. Sortir d'une zone de confort, cheminer vers les limites, géographiques ou intérieures: voilà un moyen de trouver non pas les bonnes réponses, mais en premier lieu les bonnes questions à se poser.

Le 18 Mars dernier, j'embarquai pour New Delhi, puis Srinagar à l'extrême Nord de l'Inde dans l'Etat du Jammu-et-Cachemire, d'où je commençai ma traversée, plus haut vers l'Est.

 

De Srinagar à Jammu : déroutant Cachemire

2ème jour - Srinagar, Cachemire.

 

Les aigles sont les pigeons du coin

 

Ce titre aurait pu être une bonne entête de roman à deux roupies, mais c'est une des observations les plus frappantes que j'ai pu faire aujourd'hui. Pigeon, toujours, je remercie mes boules quiès qui ont bien rempli leur rôle face aux roucoulements desdits volatiles qui partagent ma demeure (eux dans le toît, moi dans le lit).

Première bonne nuit donc, avec couverture chauffante en prime. Au lever, je vais prendre le petit dèj dans la cuisine familiale avec tout le monde. La mère de famille, cuisinière en chef, les 2 filles, le plus jeune garçon, et Imran. J'avais remarqué cette dernière personne dès mon arrivée et sa vue avait suscité une interrogation teintée de mystère à son sujet. J'appris au fil d'une discussion avec Samir, le "référent", qu'il était muet et déficient mental, ce qui ne l'empêche pas, bien au contraire, de montrer sa joie et son enthousiasme quand je lui serre la main ou lui dis bonjour.

Je passe la journée avec mon guide du jour (il a mon âge) qui me fait découvrir le lac (en barque) puis les villages bordant Srinagar. Le concert de klaxons sur les routes est bien folklorique mais on s'y habitue vite. Nous passons dans deux "gardens" où l'on trouve plus de calme. Rien de bien extraordinaire, mais pour un premier jour, c'est suffisant. Le fait d'être "guidé" me va dans ce cadre, mais j'aurai sans doute du mal à m'y faire réellement. Mes hôtes sont là pour "take care of" moi, et je sens leur enthousiasme. Cependant, je ne m'étais pas préparé pour des excursions encadrées et réglées à l'avance, tout simplement car je n'étais pas préparé au Cachermire, avec tout ce qu'il comporte  de différent au niveau politique et sécuritaire. Les formulaires remplis à l'aéroport ne sont pas anodins: mes hôtes sont une responsabilité sur moi, et je comprends leur volonté d'encadrer mes activités. Le mot "take adventure" revient souvent dans leur vocable, au moment de me proposer un programme pour les prochains jours. Sans parler des coûts en plus (que je prends déjà fortement en considération), je ne vois pas "l'aventure" comme la finalité réelle de ces cinq jours, dans la mesure où je pense avoir renoncé aux grandes marches solitaires qui ici, semblent compliquées à réaliser.

Je dois faire comprendre le message que ces 5 premiers jours ne sont pas un accomplissement, mais simplement le début d'un chemin dont je ne veux épuiser les merveilles trop vite.

De simples découvertes me comblent bien assez pour le moment, comme ces aigles dont je parlais dans le titre. J'expliquai à mon guide qu'en France, le rapace fascinait, notamment par sa prestance, l'image qu'il représente, et sa relative rareté. Ici, on en trouve partout, perchés ça et là parmi les habitations. Je me régale de leur ballet aérien, spectacle à la fois magnifique, poétique mais également d'une prodigieuse banalité dans ces contrées. L'aigle a remplacé la pie, et je gagne au change.

Ah oui, j'oubliais, les nuits sont fraiches (voire froides) ici, et ce n'est pas plus mal. Puisqu'on en est aux remarques  en vrac, j'ai vécu mon premier trajet en Jeep aujourd'hui. 4 à l'avant (dont 2 gamins), 4 au milieu, 4 à l'arrière (dont moi). Ici, on sait utiliser l'espace. Les patrouilles de police, AK-47 en bandoullière, chassent sans doute d'autres gibiers que les contrevenants routiers.

J'eus cette conversation avec mon guide (non, je ne me souviens toujours pas de son prénom) à propos de l'état actuel du Cachemire, sa relation à l'Inde, au Pakistan voisin, sa singularité le poussant à revendiquer son indépendance, sa propre monnaie, son drapeau national. Je pus déceler une certaine défiance vis à vis de l'Inde, d'où les problèmes (de criminalité notamment) semblaient venir.

C'est l'heure d'aller manger, allez hop. Tiens en parlant de ça, la bouffe (traditionnelle et typique au possible) est excellente, et mon estomac semble pour le moment s'y être bien accomodé. Pourvu que ça dure, pas comme cet aphte attrapé en France qui m'empêche de sourire en toute décontraction. Heureusement, Maman a prévu le Borax et l'Homéoaphtyl. Cette fois, je vais manger.

Le Cachemire sur une carte

3ème jour - Vallée de Kangan et Naranaag

 

Cricket, avalanches et Las Ketchup

 

Réveil à 9h30 après une nuit tourmentée de rêves pas très réjouissants. Le temps clair dissipe vite ce brouillard matinal. Je retrouve Adnann, mon hôte d'accueil à l'aéroport, avec qui je vais passer la journée à bord d'une Jeep pilotée par un sympathique chauffeur local au nom très injustement oublié. Au cours du trajet vers la vallée de Kangan (2 heures de route), je fus surpris par ces personnes, au bord de la route, qui stoppaient les voitures pour leur donner quelques sucreries faites maison, gratuitement. Le chauffeur m'explique alors qu'il est dans la pratique musulmane d'offrir des victuailles aux inconnus les jours "particuliers", à savoir tous les vendredis, auxquels s'ajoutent les autres dates de célébration du calendrier musulman.

Après ce constat et quelques centaines de nids de poule, nous arrivons à Kandrar, bourgade "paisible" nichée au creux de la vallée (mais tout de même à 1800m), et nous arrêtons prendre le thé ainsi que quelques samoussas dans une minuscule échoppe.

L'approche des zones enneigées (limite pluie-neige vers 2000m) me rappelle la raison de ma venue dans ces contrées, et c'est avec entrain que je quittai la Jeep pour fouler les premiers vrais sentiers himalayiens de mon périple. Peu de choses peuvent décrire le sensation d'enfoncer dans une vallée parfaitement inconnue, où les seules traces humaines demeurent celles, éphémères, laissées dans la neige fraichement tombée. Nous longeons un versant d'où nous observons les impressionnantes arrivées d'avalanches ayant fini leur course dans la rivière en contrebas. Adnann me parle des mythes bien réels de la région, me rappelant que les montagnes nous surplombant abritent tigres et léopards des neiges.

La pluie sonne alors la fin de la marche, et nous ramène tranquillement au véhicule.

Pendant la descente, le pilote (le qualificatif n'est pas choisi au hasard) décide de nous faire emprunter un autre chemin à flanc de montagne. Les documentaires sur les fameuses "routes de l'impossible" que j'avais visionnés y trouvent alors une formidable application pratique. Nous cheminons le long de ces incertaines bandes de terre et roche mêlées, sculptées dans une pente abrupte d'où se détachent de capricieux blocs de pierre, dont la pluie printanière facilite l'accomplissement de leurs vélléités de mouvement (brutal) vers le bas. Je n'ai le souvenir d'aucune peur à ce moment, juste l'excitation et l'assurance d'être entre de bonnes mains. Je découvre en outre les gouts musicaux "made in Cachemire", finalement pas si éloignés des standards européens du milieu des années 2000 (traverser un village d'une vallée perdue du Cachemire au son de Las Ketchup est une expérience à vivre).

Lors du retour en barque vers le boat-house, je prends quelques minutes les commandes du bout du bois flottant et donne quelques coups de rame. Il est loin le temps de l'aviron sur le plan d'eau d'Embrun.

J'arrive à envoyer mon premier (long) mail, après une lutte perdue contre le clavier qwerty. Pas grave, ce soir, il y a Inde-Pakistan à la TV (c'est du cricket). C'est définitif, je n'y comprendrai jamais rien (je parle des règles hein). Le début de nuit n'est pas serein. Quelque chose n'a pas bien dû passer à midi. Je me rue sur la pharmacie dès les premiers maux de ventre. Un Spasfon et 2 Imodium plus tard, tout va mieux. Avertissement sans frais, donc.

 

 

 

On pagaie, on pagaie.

Où t'as mis la pagaie?

4ème jour - House-boat au Dhal Lake

 

Cultures générales

 

Allah soit loué (je m'adapte), l'Imodium fit son effet et ma nuit passe sans encombres. Je préférai cependant assurer les prochains jours en restant sur place, sans grande activité prévue aujourd'hui.

J'en profite alors pour finir d'encaisser le décalage horaire à grands coups de grasse matinée et de siestes bien placées. Je réalise également que mes réserves en roupies ne sont pas aussi grandes qu'escompté, et qu'il va falloir jouer malin afin d'éviter tout désagrément comptable. Le thé de 17h me permet de constater qu'ici, le rot s'intègre au savoir-vivre d'après-repas. Je ne suis toutefois pas frappé par cette spécificité locale, dans la mesire pù la pratique ne nous est pas étrangère à la maison... Se lance alors un long temps de discussion entre Bilal, Samir, et moi. Assis à même le sol, nous débattons sur la suite de mon voyage et des destinations à envisager.

Ces 20 premières minutes écoulées, nous bifurquons alors vers des thèmes plus avancés. Au programme: immigration, keynésianisme, Fukushima, guerre en Irak, OGM, et théorie du complot. Tout y passe, et la conversation prend une dimension quasi-épique au moment où nous dressons le parallèle (ou plutôt les différences) entre George Bush Junior et Adolf Hitler, un de mes hôtes précisant (à raison?) qu'un "ne pensait qu'à l'argent et à sa gueule", et pas l'autre. La mise en situation géographique de cet échange entre l'occidental  que je suis et mes hôtes, musulmans pratiquants au fin fond du Cachemire à quelques centaines de kilomètres des zones tribales du Pakistan sous contrôle taliban m'arrache un large sourire, malgré l'aphte qui contenue à me torturer la lèvre inférieure.

Pendant le dîner, je me force à retenir les noms de mes anges-gardiennes en cuisine (la mère Misra, et les deux filles, Kushi et Nilo). Je descends mon riz aux légumes devant la version bollywoodienne des Oscars, à laquelle succède une curieuse émission, mélange de "L'Inde a un incroyable talent", d'Ecole des Fans, et de Danse avec les stars. Les animateurs alternent d'ailleurs entre Hindi et angalis, c'est assez marrant.

La journée s'achève avec une description détaillée de l'animal qui selon moi, dominera le monde à son terme: le poulpe. Mon audience, qui n'avait jamais entendu parler de céphalopode, semble assez surprise. Y a de quoi.

 

 

 

Le débat est ouvert

5ème jour - Préparation du départ

 

Attentes

 

La première grosse averse de mon voyage ne perturbe pas mon avant-dernière nuit ici. Je suis plus occupé à planifier mes prochains retraits d'espèces, qui s'avèrent bien plus complexes que prévu. Mon erreur: avoir retiré à Roissy une somme assez conséquente qui bloque mes possibilités de retrait "massif" pour le reste de la semaine. Pas grave, je me débrouillerai. Je parle avec Samir de ma prochaine destination: Shimla. L'éloignement m'oblige à prévoir un trajet en 2 étapes: de Srinagar à Jammu en Jeep, puis de Jammu à Shimla en bus, chacune des étapes prenant environ 6-7 heures de route... en conditions normales. Mais on est au Cachemire et ce facteur devra sûrement être pris en compte.

La journée passe assez rapidement sans trop de choses à signaler sauf les pourboires versés à l'équipe du house-boat, dont le volume ne semble les satisfaire qu'à moitié. J'aurais bien donné plus, mais cette semaine imprévue au Cachemire me force à surveiller mes comptes plus tôt prévu. Ah, j'ai remarqué un truc aussi. Ici, on ne hoche pas beaucoup la tête. Le geste est remplacé par une sorte mouvement sur le côté, accompagné d'une légère moue. C'est à la fin d'une transaction visant l'acquisition de bananes à un marchant ambulant que j'ai dressé ce constat. Allez, je vais finir mon sac, une grosse journée m'attend demain.

6ème jour - Srinagar-Jammu (trajet en Jeep, 272km, 16h)

 

Le jour le plus long

 

Il est certains moments, certaines situations, où l'imprévu devient parfaitement prévisible. La combinaison du jour (long trajet + route de montagne + Cachemire + pluie/neige + printemps) donnait certes quelques indications.

Je me lève ce matin avec l'espoir d'être à Shimla dans 24h. Le dernier petit-déjeuner, pris de bonne heure (7h30), m'assure de tenir la matinée. Dès le départ du house-boat (et après avoir dit au revoir à chacun), Adnaan m'avertit: la seule route reliant Srinagar à Jammu passe par les montagnes, et il n'est pas rare que celle-ci soit bloquée pour une raison ou une autre. La pluie régulière, qui tombe depuis le début de nuit dernière n'arrange pas optimisme. Après une demi-heure d'attente, j'embarque néanmoins dans la Jeep menant à Jammu. J'hérite de la place du cancre (ou plutôt du touriste solitaire), tout au fond à droite, où mes jambes ont déjà du mal à trouver une place. Chauffeur inclus, nous sommes donc 9 personnes  (3 à l'avant, 3 au milieu, 3 à l'arrière) à prendre la route longue de 272 kilomètres entre Srinagar et Jammu (que des locaux, sauf moi). Malgré les secousses, les premières heures se passent plutôt bien. Nous traversons villages et campagne jusqu'aux premières rampes de la montée vers le poste de douane. Dans la pluie et le vent, je remplis le formulaire attestant de ma sortie du Nord-Cachemire vers le Sud, où la présence militaire se fait immédiatement moins flagrante. La pause-déjeuner nous arrête dans une cantine en bord de route à l'extrémité du dernier village de montagne avant la portion la plus élevée. Seul et un peu perdu, je suis notre chauffeur, m'installe à sa table (rustique), et commande un bon vieux riz-poulet classique mais efficace. Les couverts étant prohibés, je mange à la locale, avec les doigts, et seulement de la main droite. L'ensemble est très épicé mais je commence à m'y faire. Je reprends même deux fois du riz, me disant qu'il s'agit peut être du dernier vrai repas avant de très longues heures.

La bande de béton coulée à flanc de montagne nous fait traverser des paysages grandioses. Le vert intense des rizières laisse parfois brutalement place à des pans déchirés par les glissements de terrain, fréquents sur des pentes si abruptes. Notre voiture s'arrête alors en pleine montée, bloquée par le trafic (nous en sommes à 5h de route). La "Highway trafic Police" coupe l'accès, et personne ne déroge à la règle. Deux heures passent ainsi, à l'arrêt, où je profite de l'endroit pour prendre quelques photos. Vers 15h, nous apercevons du mouvement du côté des voitures en amont. Mauvaise nouvelle: nous sommes contraints de redescendre au village en contrebas. Je reprends à nouveau mon appareil et décide de passer le temps en jouant au cinéaste.

Sur les coups de 17h, un mouvement plus positif s'amorce: le trafic "va reprendre". C'est seulement à ce moment que j'apprends que 300 mètres plus haut, un glissement de terrain avait enseveli la voie, et que les engins de déblaiement avaient fini leur oeuvre. L'attente (qui commence à être interminable) me permet de constater l'absence totale de conscience environnementale chez beaucoup d'Indiens. La file de voitures à l'arrêt est également une procession de déchets plastiques (paquets de chips en tête), que les passagers jettent directement par la fenêtre sur la chaussée, transformant la route sauvage en une décharge à ciel ouvert. Dans un paysage aussi grandiose, cette vision m'attriste réellement. Au rayon "douleurs", mes jambes et mon postérieur commencent aussi sérieusement à siffler, et nous n'en sommes même pas à la moitié du trajet...

Après une bonne heure supplémentaire, le trafic reprend enfin, agrémenté des mélodies parfois improbables chantées par les klaxons des camions et bus locaux. Autre remarque "en vrac": je suis tombé sur un panneau de la "sécurité routière" locale affichant comme conseil: "Drive with your ears". Je comprends désormais mieux l'usage du klaxon, ainsi légitimé par les autorités.

La conduite énergique (doux euphémisme) de notre pilote commence à faire quelques dégats. Après 11h de voyage, les nids de poule passent moins bien, de surcoit à l'arrière. Un passager plus agé que les autres cède à l'appel du sac plastique, après que son estomac fut vaincu par les coups de boutoir des virages pris à vitesse soutenue. Vers 23h (soit à la 14ème heure de notre désormais odyssée), nous nous arrêtons quelques minutes pour une réconfortante pause-thé, que je partage avec 3 de mes compagnons d'infortune. Je lutte tant bien que mal contre le sommeil, qui me donne mal au coeur dès que je ferme les yeux (sic).

C'est donc avec un regard fermement fixé sur la route que j'assiste à nos derniers kilomètres vers Jammu, avec toujours aucune idée de l'endroit où je vais passer la nuit. Sauf qu'à l'instar des marathons, les derniers kilomètres sont toujours les plus durs, en particulier pour notre roue arrière droite qui jette l'éponge après 250 kilomètres de souffrance. Dans le froid et sous une pluie battante, nous sortons nous du véhicule, en attendant que le chauffeur nous démontre ses talents de mécano (prévoyant, je lui fournis la petite lampe torche que j'avais placée dans mon sac le matin même).

Nous atteignons ENFIN Jammu à 1h du matin, au terme d'un trajet épiquement interminable de 272 tortueux kilomètres, et surtout 16 heures, dont mes os illiaques garderont un cuisant et douloureux souvenir.

A la sorie de notre galère à 4 roues, un homme en turban m'accoste pour un hôtel. Je me renseigne sur le prix: 1000 roupies, ça fera l'affaire. Je jette mon sac dans le touk-touk et me laisse conduire à travers les ruelles désertes de Jammu jusqu'à une guest-house, où nous sommes reçus par une meute de chiens pas franchement accueillants.

Je mets enfin les pieds là où j'espère être depuis ce matin: un endroit où dormir. Le registre signé et la somme payée, je détends mon esprit et me dirige fatigué mais apaisé vers ma modeste chambre. Relâchement coupable, puisque 10 mètres avant la porte, mes lacets ont la lumineuse idée de s'emmêler aux crochets de mes chaussures de rando. Démuni, je m'explose alors sur le carrelage en m'étalant de tout mon long, après un vol plané aussi grotesque que limpide. Mon genou gauche cogne violemment le sol. Ca fait mal, mais ce n'est qu'un coup. Le sac défait et les dents brossées, je m'effondre sur mon lit, au terme de ce qui pourrait bien être la plus longue journée de ma vie. Je trouve le sommeil pour quelques heures, avant qu'une démangeaison ne me réveille: le siège de la Jeep avait encore laissé quelques souvenirs à mon postérieur, dont l'épiderme semble ne pas avoir encaissé les secousses répétées sans dommages. Je cherche alors dans ma trousse à pharmacie: de l'Apaisyl, contre les piqures d'insectes, et une pommade antibiotique contre les infections de la peau. Les deux y passeront, et je retrouverai un sommeil plus que réparateur. La suite du trajet attendra, chaque chose en son temps.

​

 

Le Cachemire sur une carte

Sur la route de Jammu

7ème jour - Jammu

 

D'un monde à l'autre

 

 

Me voilà donc à Jammu, après un périple dont je me souviendrai à vie. Je loge dans une modeste chambre très sombre en bout de couloir. L'ensemble a l'allure des vieux motels impersonnels que l'on voit parfois dans l'Amérique rurale des années 80. Tout cela étant dit, je me satisfais entièrement de mon logis du jour, situé au coeur du "Vieux Jammu", centre-ville perché à flanc de colline, aux rues étroites et colorées par les dizaines de magasins de textile traditionnel. Il se dégage de ce quartier une impression de marché permanent, où chaque ruelle a sa spécialité  (textile, pharmaciens, médecins, agences de transport). Je profitai de la fraîcheur matinale pour découvrir à pied les environs. Même si je suis observé comme une bête de cirque (je n'ai croisé aucun autre "Occidental" de la journée), je prends un réel plaisir à arpenter ce dédale de voies piétonnes (hors quelques téméraires touk-touks bravant la foule), plus colorées, bruyantes et vivantes les unes que les autres.

L'atmosphère, bien plus chaude et humide qu'à Srinagar m'oblige (avec plaisir) à une sieste aux heures chaudes de l'après-midi. Je constate que le changement de vallée me fait côtoyer une population tout à fait différente. Ici, la communauté sikh est majoritaire, avec bien plus d'Hindouistes et très peu de musulmans. Ces quelques cetnaines de kilomètres vers le Sud m'ont réellement fait changer d'univers, que j'explore d'un pas ferme et décidé (la clé pour ne pas trop se faire aborder dans la rue).

Je tombai aussi sur un "Tourist Reception Centre", où je me procurai une carte (sommaire) de Jammu et du Cachemire, qui me permet de resituer plus précisément mon trajet des derniers jours. De retour à ma chambre, je profitai de la douceur du début de soirée pour m'installer sur une terrasse en balcon donnant sur une cour intérieure, à l'ambiance bien plus calme, où je rédigeai ces quelques lignes. Je prendrai demain le chemin de Shimla ou Manali (selon horaires et envie). D'ici là, cette étape improvisée continue de combler ma soif d'inconnu.

 

 

 

Raghunath Bazar - Jammu

8ème jour - Jammu

 

Faire le point

 

La nuit me porte conseil: je dois y voir plus clair concernant la semaine à venir. Je me réveille un peu plus tôt (9h du matin, tout de même), afin de profiter des heures fraiches de la matinée.

De retour au centre touristique visité la veille, je demande la direction de la gare routière ainsi que notre emplacement sur la carte, histoire de me repérer un peu mieux. Je réalise alors que l'impression de "marché permanent" dont je parlais hier n'est pas un hasard, puisque ma guest-house se trouve du "Raghunath Bazar". Tu m'étonnes..

Je me rends donc à la gare routière de Jammu, à 5 minutes de touk-touk, avec l'espoir d'y trouver les informations concernant mon trajet vers Shimla ou Manali. Le grand hall est un spectacle à lui tout seul, assez loin des standards européens. Ici, pas de tableau d'affichage des destinations ou horaires. L'annonce est assurée par les chauffeurs 5 minutes avant le départ. Je me rends au comptoir principal, où je n'obtiens qu'un fugace "I don't know" en guise de réponse. En insistant auprès d'un 2ème agent, j'obtiens un horaire: 16h, bus vers Manali. Le gars ne semble lui-même pas très convaincu par l'info qu'il m'annonce et à la vue du cahier d'où il la tire, je préfère aller voir ailleurs. Le problème est que justement, j'ignore où est cet ailleurs. Ma préoccupation est alors simple: je dois trouver un cyber-café d'où organiser mes prochains jours. 2ème problème: je n'ai absolument aucune idée de leur localisation, et les "I don't know" récoltés auprès de divers commerçants ne m'avancent pas plus. L'aiguille et la botte de foin, donc.

Après brève consultation de la carte, je décide d'orienter mes recherches vers le quartier plus au Sud. Après 20 minutes de marche à travers la vieille-ville, je traverse l'imposante rivière "Tawi" (qui a plus l'air d'un fleuve) par le pont que je partage avec camions, motos, voitures, et leurs volutes de fumée. L'air chaud et pollué est assez suffocant, mais j'atteins l'autre rive sans gêne. Aussitôt arrivé de l'autre côté: bingo. J'aperçois la salvatrice enseigne "Internet", et m'installe au "Student Corner", petit cyber-café multiservices.

Je squatte le poste au fond de la salle pendant une bonne heure et demi, d'où j'obtiens les renseignements utiles pour la semaine à venir, dont l'adresse d'une compagnie de transports assurant des liaisons par bus vers Manali. Je récupère également les contacts de guest-houses à Shimla et dans la région du Kinnaur (dont la vallée de Sangla, près de la frontière chinoise, que je compte explorer après mes quelques jours à Manali). Une fois le mail à la famille et aux amis envoyé, je me rends directement à l'adresse de la compagnie de transports, où j'obtiens mon billet pour Manali: départ demain à 20h. Ca c'est fait. Les 600 roupies demandées (environ 8€) pour un si long trajet (plus de 700 kilomètres) ne sont pas exagérées.

 

De retour à ma chambre, je fais le bilan à date de mes finances: ça va bien mieux. Ces quelques jours d'austérité à Jammu (bananes au menu) me permettent d'envisager la suite plus sereinement. La beauté de la ville fait que je ne perds pas non plus mon temps. Je décide de me rendre au temps sikh de Ragunath, où la police me demande de ranger sac et appareil photo (Canon + GoPro) dans une consigne (photos interdites). Vu le contenu (+ les espèces restantes), je préfère être trop prudent et me contenter des vues extérieures du temple, dont on peut admirer les élégantes toitures depuis la rue.

J'occupe mon début de soirée avec une petite séance lessive où je lave 2 T-shirts, une paire de chaussette, et un pantalon qui en avait bien besoin.

Je redescends brièvement dans les rues avec 20 roupies en poche (la nuit est tombée) chercher une bouteille d'eau. Celle que j'avais achetée il y a quelques heures n'avait plus sa goupille, et avec ça, je suis volontiers paranoïaque. Au moment de me poser pour écrire ces lignes, j'observe un truc: sur les 4 bouteilles disposées sur la table basse, 3 sont "inconsommables" (car sans goupille). Entre quelques litres gaspillés et un ventre retourné, je choisis la première option. Là dessus, on est jamais trop prudents.

 

 

 

Un soir à Jammu

9ème/10ème jour - Jammu-Manali (Bus, 15h)

 

Lentement mais surement

 

 

Aujourd'hui est le jour de transition par excellence. Bus pour Manali annoncé pour 20h. Je dois donc meubler ma journée jusqu'au soir, avant une (très longue) nuit jusqu'aux montagnes de l'Himachal Pradesh. J'arrive à obtenir un check-out retardé à 15h (au lieu de midi) afin de ne pas errer trop longtemps au MacDo (et oui) où je me rends ensuite pour profiter de l'air plus frais que celui des suffocantes rues de Jammu. J'attends ensuite une petite heure à la gare routière avant d'embarquer dans le bus où je croise le premier occidental depuis mon arrivée à Delhi: Diego, un portugais de 25 ans en voyage à travers l'Inde depuis dejà 2 mois. Après une bagarre assez folklorique entre le chauffeur et une bande d'énervés (pas très impressionnants) bien entamés au Whisky premier prix à l'extérieur du bus, nous nous mettons en route pour 15 heures de trajet, crevaison, bouchons, et pauses-thé inclus.

L'arrivée dans la vallée de Kullu est aussi majestueuse, de par le gigantisme de ses apics tantôt rocheux tantôt verdoyants, que chaotique, de par l'état indescriptible de certaines portions de la seule route reliant ce coin montagneux d'Inde au reste du pays. Je reste stupéfait par son "bon" développement global, compte-tenu d'une liaison routière aussi catastrophique.

Une froide et soutenue pluie nous attend à la sortie du bus, et nous nous empressons (après un réconfortant tchaï) de trouver un taxi pour "Old Manali". Je dis "nous" car Diego et moi décidâmes, après quelques marrantes discussions, de trouver ensemble une guest-house. Après une première négociation infructueuse au "Mountain Dew", un gars du coin nous aborde. 400 roupies la chambre, Wifi et douche chaude, on y va.

Nous posons nos sacs dans la chambre double que nous choisissons de partager. En dépit du mauvais temps, l'ambiance est vraiment chaleureuse et conviviale, Nous en profitons pour parler une bonne heure avec le patron, Anand, "born and grown" à Manali, et ancien guide de montagne dans le coin. Inutile donc de préciser que le courant passe tout de suite très bien. Bonnes nouvelles, toujours, les prévisions sont excellentes pour les prochains jours. En attendant le ciel bleu, je pars me coucher de bonne heure. Vivement demain.

 

 

 

L'Inde de l'envers: dans les montagnes de l'Himachal Pradesh

11ème jour - Manali

 

Les ronces de l'Himalaya

 

Je me réveille tôt, me précipitant sur le rideau pour voir ce que le ciel nous a réservé: grand bleu. A 7h30, je pars prendre quelques photos des paysages hier bouchés, aujourd'hui resplendissants. Les précipitations des derniers jours ont drappé les hauteurs boisées d'une enveloppe d'un blanc vif, accentué par le soleil déjà très haut pour une fin de mois de Mars (nous sommes bien plus proches de l'Equateur qu'en France).

Nous prenons notre petit-déjeuner dans une petite échoppe tenue un couple népalais. Plats basiques, typiques, mais bien nourissants, et c'est bien l'essentiel. Je teste mes premiers Momos, sorte de raviolis de légumes, à la vapeur ou frits, plus l'omelette, qui va surement devenir la base alimentaire de mes prochains jours de rando (simple et nourissante). Il faut également composer avec l'absence de viande rouge (par contre, on a du poulet partout), me poussant à aller chercher les protéines ailleurs.

Nous partons vers 9h30 pour une ballade le long de la rivière, en remontant vers le haut de la vallée. En chemin, nous sommes rejoints par un, trois, puis sept chiens qui trainaient par là, et qui décident de nous accompagner deux bonnes heures durant. Après de longs kilomètres passés dans le lit du cours d'eau à chercher un moyen d'atteindre l'autre rive, nous tombons sur un petit pont en bois nous permettant de nous diriger vers une cascade visible depuis toute la vallée.

Le sentier taille droit dans la montagne et nous emmène dans une fôrêt clarisemée, jusqu'à une petite baraque (apparemment un refuge fermée car hors-saison) où nous nous posons quelques minutes. Les deux courageux chiens nous tenant compagnie en profitent pour s'accorder une petite sieste. Le reste de la montée vers la cascade (et le retour vers la vallée est nettement plus tortueux: la faute à d'épaisses et fournies ronces calibre Himalaya, qui se feront un plaisir de laisser quelques souvenirs dans nos mains non-gantées (5 échardes, dont 4 enlevées). Cela me servira de leçon.

De retour à la guest-house, je discute longuement avec Felix, la soixaintaine, qui a quitté son Bourg Saint Maurice pour 4 mois en contrées indiennes. Que des personnes intéressantes par ici.

4 heures de marche, à peine essoufflé

Le salon d'une "boulangerie" locale.

Le patron m'a plusieurs fois proposé sa "Magic Chocolate Bar".

A en juger aux peintures ornant les murs, on peut deviner quel genre de magie entrait dans sa composition.

12ème jour - Manali

 

Comme un gamin

 

Après la découverte vient l'exploration. Je pars assez tôt (7h30) vers le flan de montagne surplombant notre logis. Anand me donne quelques indications sur le sentier à suivre, mais je ne les suivrai que très sommairement. Quelques minutes de marche en sous-bois laissent place à une trouée d'où le paysage est stupéfiant. Les contrastes entre le bleu vif d'un ciel de nouveau sans nuages, le vert dense des sapins élancés, et le blanc immaculé des sommets avoisinant me poussent à continuer ma marche vers les cimes tant que possible. Je progresse à travers une forêt clairsemée d'arbres imposants, refuge d'une faune invisible mais dont je perçois la présence de par les nombreuses empreintes repérées tantôt dans la boue, tantôt dans la neige, que j'atteins après deux heures d'effort. L'altitude et/ou le petit déjeuner frugal du matin m'oblige à m'arrêter quelques minutes, afin de remettre à l'endroit une tête qui commençait à légèrement tourner.

Dans la partie finale de l'ascension, je longe l'arête séparant versant Nord et Sud, où j'achève ma montée dans un bon mètre de neige de printemps. J'atteins avec difficulté la souche d'arbre que je m'étais fixée comme objectif, symbole de mon "sommet du jour", avant de me lancer dans la pente et dévaler à grandes foulées le flanc le plus enneigé de la montagne. Je prends un plaisir enfantin et assez jouissif à m'enforcer dans la neige et descendre à grande vitesse (pas toujours contrôlée) ces quelques centraines de mètres de nature sauvage, avec les sommets de l'Himalaya en toile de fond. Et là, sans prévenir, je me mis à hurler. Comme ça. Comme l'expression d'un trop-plein d'enthousiasme et de plénitude devant ces purs plaisirs qui s'offrent à moi, seul face à ce que je suis venu chercher: la montagne, la vraie.

13ème jour - Kothi/Vallée

 

Incorrigible

 

Un énorme retard m'oblige à synthétiser les prochains jours. Je commence par ce 31 Mars:

-jeep avec le frère d'Anand

-location de matos de ski années 90

-20 minutes vers Kothi sur la "Highway" reliant Manali à Leh.

-Travailleurs (et beaucoup de travailleuses) à casser des cailloux pour élargir la route.

-2 heures de marche en forêt puis descente à skis.

-Sensation d'être SEUL avec la nature

-retour au village; les touristes indiens sont marrants: ils savent pas DU TOUT marcher dans la neige. Je plaide coupable de discret foutage de gueule.

-retour à Manali à pied depuis Kothi (16km, 2h30 de marche), skis sur le dos. Magnifique descente puis laborieuse traversée de la vallée sous un soleil de plomb et pollution. Les combinaisons style années 90 proposées par les baraques de location m'amusent bien.

Ces skis sont attachés n'importe comment.

Mais bordel, il est où ce télésiège?

14ème jour - Hauteurs de Manali

 

Chiens méchants

 

Petit tour sur les sentiers déjà empruntés au dessus de Manali, accompagné de Beate et Ingrid, deux norvégiennes en voyage au long cours (1 an entre Amérique Centrale et Asie). Nous suivons un sentier qui disparait rapidement, nous laissant errer dans les vergers escarpés qui parsèment la montagne. Comme il y a deux jours, un chien se joint à notre marche et nous accompagne jusqu'à la rencontre d'une meute (le terme est choisi) de chiens très agressifs. Perdus, la situation devient assez flippante que notre pauvre pote canidé se fait attaquer et s'enfuit avec tout le gang à ses trousses. On finit la marche comme on peut. Le soir, j'étudie l'odyssée qui m'attend pour rejoindre le Népal à partir de Manali. Je prendrai surement un bus jusqu'à Chandighar (la plaque tournante reliant l'Himachal Pradesh au reste de l'Inde), et ensuite, on verra bien... Un seul certitude: le trajet sera long. Très long.

 

Un trait jaune + un trait rouge + un trait jaune = 52 heures

On dirait pas comme ça hein?

Avant la tempête

" Une mère lutte à contre-courant, et hurle entre deux coups de poing sa rage de ne pouvoir s'extraire de l'incessant flot de voyageurs qui tente tant bien que mal de se trouver une place à bord. "

Du 15ème au 17ème jour - De Manali ... à Pokhara (Népal)

Première partie.

 

L'Odyssée

 

Cet épisode ne figure par sur mon carnet de route.

Trop long. Trop épuisant. Trop tout.

Quelques lignes donc pour résumer: je pars de Manali un soir, à 18h. 9 heures de bus jusqu'à Chandigarh que j'atteins au tout petit matin. Le chauffeur nous dépose au milieu de nulle part, au coeur d'une ville-concept construite sur les plans de Le Corbusier, qui s'étend à perte de vue.

Impossible d'envisager le moindre trajet à pied dans ce dédale d'avenues parfaitement alignées, je prends donc un touk-touk jusqu'à la gare de Chandigarh, que je découvre vers 6h du matin. Soyons clairs: quand j'y arrive, je n'ai absolument aucune idée de la manière dont je vais rejoindre le Népal. Je demande alors comment rejoindre Gorakpur, point de départ des bus reliant l'Inde au poste-frontière de Sunauli (mon objectif). (Déjà) Exténué par ma nuit blanche, j'arrive à comprendre que je dois rallier une autre gare, celle d'Ambala, d'où des trains partent vers l'Est. L'attente est longue, pénible.

Un groupe de collégiens s'arrête pas loin de moi, et m'épie sans relâche pendant 20 bonnes minutes. Leurs yeux ne me quittent jamais, et, fatigue aidant, être scruté comme une bête de cirque me fait sortir de mes gonds. Me voilà confronté à mes limites psychologiques. Deux trois insultes partent malgré moi, en français évidemment (ce qui a le don de m'apporter un peu de réconfort). Je m'en veux, mais honnêtement, quand j'y repense, impossible de faire autrement.

Un des gars m'accoste, et je comprends. Aucun du groupe ne parle un mot d'anglais, impossible pour eux de me parler. Donc ils me regardent. Logique. D'ailleurs, c'était la première fois de leur vie qu'ils croisaient un français.

Je chope un train jusqu'à Ambala, où je débarque vers 10h du matin. Je dois maintenant trouver le train de Gorakpur. Une heure d'attente dans le hall archi-bondé ne suffit pas, et je me retrouve démuni. Aucun guichetier ne parle anglais, encore moins le responsable, qui arrive quand même à me signifier par les gestes d'aller consulter les panneaux, tous écrits en Hindi. Pas de billet donc.

Je n'ai qu'un mot à la bouche: "Gorakpur". "Gorakpur'. Gorakpur". Une employée de la gare me baragouine le nom d'un train, dont je ne retiens que la dernière sillabe: "Li". À court de solutions, je m'affale sur un bout de banc. Au bout, d'un quart d'heure les yeux dans le vague, le messie/prophête/sauveur, (c'est selon) m'aborde: un indien de Jaipur, ayant perçu les signaux de détresse qui suintaient de ma pauvre gueule, me tape la causette.

 

Je lui balance mes deux mots-clés en mode jeu télé: Gorakpur - Li. Réponse enthousiaste: "The Armapali Express".  Pyramide. Sauvé. Apparemment, le mec regarde France 2 (Marie-Ange Nardi, si tu me lis...).

Je tiens donc le nom de mon train. En bonus track, le mec m'indique où je dois me rendre. Je lui fais mes révérences, et me dirige vers le Quai 6. 

 

Vers Midi, un train arrive. Je n'ai aucune certitude quant à sa destination. Les réponses des locaux sont très vagues. J'embarque malgré ça dans ce train, sans billet, mais avec l'espoir d'arriver à bon port. Je trouve une banquette libre dans la "Sleepers Class" (l'équivalent de la 3ème classe), où je me pose. J'attrape dès le début le contrôleur et lui expose ma situation. Premier point positif: le train va bien à Gorakpur. Second point positif: l'amende n'est vraiment pas si chère que ça: 600 roupies.

Au bout de deux heures, le train s'arrête. Et là, tout s'agite. On est Vendredi soir, et comme partout, les gens rentrent chez eux. Mais on est en Inde.

En 30 secondes, l'ambiance jusque là assez calme tourne au désordre absolu. Ceux voulant descendre de la rame sont emportés par l'incontrôlable foule qui s'y précipite à l'intérieur. Une mère lutte à contre-courant, et hurle entre deux coups de poing sa rage de ne pouvoir s'extraire de l'incessant flot de voyageurs qui tente tant bien que mal de trouver une place à bord.

Le chaos qui y règne est indescriptible. J'observe effaré le spectacle, fait de corps écrasés, de cris, mais aussi de sacs de riz ainsi que de cages remplies de poulets, pénétrant dans ce wagon soudain beaucoup trop exigu. Je dois descendre du bout de banquette que j'occupais pour laisser place à deux gamins, et m'assois sur celle d'en dessous.

Le trajet durera 23 heures, interminables, que je passe privé d'un sommeil impossible à trouver en raison de ma position plus qu'inconfortable (au plus 50 centimètres carré, que je partage avec mon énorme sac et l'officier de l'armée en charge de la sécurité du wagon, qui occupe, allongé, tout le reste du couchage). Tout ça, sans parler des odeurs auxquelles je dois .. m'adapter. D'ailleurs, le nourisson à qui j'avais laissé ma place se charge de ponctuer joyeusement cette épuisante traversée en me vomissant sur les pieds. Les bonheurs simples.

J'arrive à Gorakpur en milieu de matinée. Facile de trouver un bus pour la frontière, tant les rabatteurs sont nombreux (et puis un blanc à gros sac à dos qui débarque à Gorakpur, c'est pas pour grand chose d'autre...). Le chauffeur me place tout au fond, au côté de locaux pas plus vieux que moi.

3 heures de route, et me voilà à la frontière.

Au revoir Inde.

 

 

 

 

 

Trek du Sanctuaire des Annapurnas - Népal

 

Phedi -  Camp de Base de l'Annapurna - Nayapul

 

7 jours - Dénivellé positif: 4120 mètres

20ème jour (1er jour de trek)

Pokhara - Phedi (1130m) - Tokla (1700m) ; -400m, +1000m

 

Absolu

 

 

Sans doute provoquée par l'excitation du premier grand trek, une belle insomnie s'empare de ma nuit au Nahohana Lodge. Je songe même un moment à reporter mon départ d'un jour, devant le famélique nombre d'heures de sommeil dont j'ai pu profiter ces 3 derniers jours. A 7h du matin et malgré des jambes un peu lourdes, je me décide à le ver le camp. Le patron me propose de laisser quelques affaires dans un casier, proposition acceptée bien volontiers. J'abandonne donc à Pokhara un sac rempli de quelques fringues et d'objets sans grande valeur, que je récupèrerai à mon retour.

300 roupies de taxi et 1 heure de bus plus tard, le chauffeur me dépose à Phedi, petit hameau de montagne, d'où commence le long et escarpé chemin vers le sanctuaire des Annapurnas. J'achète un bracelet à une dame à l'âge très respectable. Ce sera mon porte-bonheur du Népal. A 9h54, je me mets en route. La première ascension, décrite comme "très abrupte" par le Lonely Planet, est un véritable mur. L'escalier de pierre serpente dans la forêt tropicale, et m'oblige dès les premiers mètres à adopter un rythme extrêmement lent.

Sous un soleil de plomb, mieux vaut commencer tranquille. Je prends le temps d'admirer le travail de titan réalisé pour ériger cette trouée parmi la végétation, me disant que chaque pierre que je foule a dû être portée ici à dos d'homme. Le poids de mon sac (15 kilos) en devient de suite tout relatif.

J'arrive au bout de 2 heures au premier checkpoint, où je fais tamponner ma carte TIMS et me fais enregistrer parmi les trekkeurs en vadrouille dans le secteur. Le 2ème checkpoint, à Pothana, me fait entrer dans "l'Annapurna Conservation Area", pour laquelle j'avais dû obtenir un permis particulier.

En sillonant le village de Dhampus, j'ai cette vision parfaitement inédite depuis mon arrivée en Asie: des poubelles le long de sentiers! Les 2000 roupies dépensées pour accéder à cette zone de zone absolue se justifient bien mieux. Il y a donc encore un peu d'espoir dans pays ravagé par les déchets plastiques.

Vers 13h, j'atteins Pothana, où je comprends en regardant ma carte pourquoi mes jambes brulent légèrement, je viens de m'avaler 980 mètres de dénivellé positif en un peu plus de 3 heures. Bienvenue au Népal.

La carte m'indique également des belvédères d'où l'on peut admirer les mythiques sommets environnants, sauf qu'ajourd'hui, l'épaisse brume de poussière et d'humidité bouche toute vue, et au final, tout cela n'est pas si déplaisant. Progresser à quelques encablures des légendaires cimes de l'Annapurna et du Machhapuchhere sans les apercevoir procure la magnifique sensation d'évoluer sous leur oeil bienveillant. Je ne les vois pas, mais je sens leur présence. La visibilité médiocre (en grande partie due à la poussière en suspension) me fait espérer la pluie pour les prochaines heures. Ca tombe bien, le ciel s'encombre peu à peu de nuages pas encore tout à fait menaçants, mais suffisants pour m'offrir de l'ombre, qui n'est pas de trop en cette chaude après-midi d'Avril. S'il ne pleut pas avant, j'atteindrai ce soir le village de Tolka. Mes réserves ne semblent pas préoccuper les nombreux locaux à qui j'adresse la parole, tous m'affirmant: "No rain today, no rain today". C'est ce qu'on va voir.

La descente vers Tolka est longue et éprouvante. Je tombe par chance sur un joyeux Briton avec qui je tape la causette jusqu'à Tolka, où je m'installe dans le premier lodge venu: le "Sunlight", à la sympathique gérante pas toute jeune mais encore en forme. Content mais fatigué, j'enfile mes boules quiès et me plonge dans une sieste réparatrice. 1 heure plus tard, je suis réveillé par le vacarme assourdissant des grêlons se fracassant contre le toit de tôle ondulée sous lequel je dors. Je l'avais bien senti: il pleut à torrents. On n'apprend pas au vieux singe à faire la grimace.

Nous nous retrouvons alors au coeur d'un très violent orage, à la juste dimension des montagnes environnantes. Cette averse est une bénédiction pour les prochains jours: l'eau purge l'air de ses impuretés. Cette fois, je les aurai mes paysages, et bien plus tôt que prévu. En 10 minutes, les nuages laissent place au soleil rasant de cette fin d'après midi et juste là, derrière la colline laquelle est nichée, apparait l'Annapurna. Les lumières d'après-orage sont toujours très belles. Ajoutées au contexte et à ce cadre, l'ensemble vire au grandiose absolu. Chaussé de mes simples tongs, je longe le sentier taillé à flanc de montagne pour mieux profiter du spectacle, que je partage brièvement avec Maman, grâce à l'excellent réseau mobile de Nepal Telecom.

J'explose en larmes, assez prévisiblement, devant cette parfaite représentation du sublime tel que je le conçois. Remis de mes émotions, je tombe avec grand appétit mon dhal-bat avant un coucher avancé par la coupure de courant de 20h. Quelle journée. Et ce n'est que le début.

 

Mise à jour du soir: le coin est peuplé d'innombrables mais inoffensifs papillons de nuit et de chauves-souris dont une qui virevolte dans la salle à manger pour profiter du festin. Quand on tombe dessus dans le noir, à la seule lueur de sa lampe frontale, ça fait quand même bizarre.

La TIMS (le permis local)

Ma première vue de l'Annapurna. Y a pire.

En chemin

C'était ça tout le temps

21ème jour (2ème jour de trek)

Tolka (1700m) - Chomrong (2170m) ; - 450m, + 900m

 

Vertical Limit

 

 

Les derniers orages de la nuit sont passés. J'attaque donc ce 2ème jour de trek sous un grand ciel bleu, et de bonne heure (7h30). Le parcours me conduit d'abord de Tolka à Landruk (200m D-) en deux petites heures. Me voilà déjà à mi-chemin (si l'on se fie aux distances à vol d'oiseau) et je trouve ça assez suspect. Arrivé au point le plus bas de la journée (Himalapani, 1372m), je prends le temps de préparer ma potion miracle à base de sucre acheté à l'épicerie de Pokhara et d'un litre d'eau. Très simple, mais efficace pour donner un coup de jus quand nécessaire. J'inaugure également mes pastilles de Micropur, que j'utilise pour traiter un petit litre d'eau recueilli dans la rivière. On verra bien ce soir si mon estomac supporte le changement. Mon portefeuille, lui, s'en contenterait bien (2 bouteilles à 200 roupies l'unité par jour, ça fait un petit budget).

Après avoir croisé et parlé 2 minutes avec un couple d'anglais rencontré la veille, je me lance dans l'ascension vers Chomrong depuis New Bridge (1350m). Il est alors 11h20, et je me prépare mentalement à encaisser 800 mètres de D+, à travers un pan de montagne si raide qu'on se demande comment comment un sentier peut être tracé là dedans. Les escaliers de pierre (toujours aussi impeccablement réalisés et entretenus) m'emmènent à travers une forêt d'abord dense, puis plus éparse au fur que je gagne en altitude. La chaleur, accablante, m'oblige à de fréquentes pauses.

Je suis accompagné dans mes pas par le bruit d'une étrange procession qui progresse au son de tambours et de cymbales quelques dizaines de mètres au dessus de moi. J'apprendrai plus tard par mon voisin de chambrée japonais qu'il s'agissait d'un rituel annuel pour tous les enfants de moins de 16 ans. Dans des pentes si abruptes, on sait bien former sa jeunesse à l'effort ici.

J'arrive enfin à Chomrong, 2180m, vers 13h45. Le village offre un panorama époustouflant sur la vallée que je viens de traverser, mélant collines ciselées par les rizières en balcon, forêt sauvage, et sommets, dont la vision reste bloquée par d'épais nuages. Je pose mes affaires au "Fishtail Guesthouse" (Fishtail ("queue de poisson") étant le surnom donné au Machhapuchhere, montagne sacrée (seul sommet jamais gravi de l'Himalaya népalais) dont on peut admirer les lignes élancées depuis la terrasse, et par temps clair.

Après une douche chaude miracle, j'allai me réapprovisionner en eau potable au "Safe Drinking Water Project", réseau mis en place par l'Annapurna Conservation Area Project, qui met en vente de l'eau purifiée sur place. A 70 roupies le litre, j'y trouve mon compte, et c'est bon pour la planète. Tout bénef donc.

J'attaquerai demain la vraie moyenne motagne, jusqu'à Bamboo, 2500. D'ici là, j'attends avec impatience le Dhal Bat de ce soir. Je me contente en effet d'une seul "vrai" repas par jour (celui de ce soir donc). Jusque là, ce régime me va bien. Pour combien de temps? On verra.

22ème jour (3ème jour de trek)

Chomrong (2170m) - Himalaya Hotel (2920m) ; - 250m, + 920m

 

Bouchées doubles

"C'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur"

 

 

L'étape du jour me fera passer de la forêt encore tropicale de la vallée à la "vraie" montagne, que j'atteindrai vers Bamboo, où je dois passer la nuit prochaine. L'abrupte descente après Chomrong nous met directement en jambes.

En chemin, je tombe sur cette scène assez insolite d'un groupe de jeunes népalais en pleine partie de volley-ball, au beau milieu des rizières. Je croise également ce couple russe aperçu hier matin, qui a moins de chance que moi: le gars a attrapé un parasite et doit redescendre. A ce propos, mon estomac semble s'être bien fait au Micropur. Bonne nouvelle au moment d'arriver au village de Sinuiwa, où le litre d'eau purifiée passe de 70 à 130 roupies. J'ignore si je dois mettre ça sur le compte de l'excellente nuit de sommeil passée à Chomrong, mais je me sens très bien aujourd'hui. Mes jambes et mon souffle répondent parfaitement, me faisant atteindre Bamboo (destination initiale du jour) sur les coups de midi, après 4 heures de marche efficace pourtant menées sous un soleil toujours aussi franc. L'heure quasi-matinale de mon arrivée à destination me pousse à prolonger ma marche. Les quelques nuages et la fraicheur de l'air d'altitude (nous sommes désormais à 2400 mètres) me font progresser à un rythme soutenu vers Doban, prochain "village" en amont. Ce changement de plus chemin est précisément l'illustration des raisons m'ayant poussé à voyager sans guide et sans porteur. L'autonomie, dans ce type de circuit, est la meilleure solution pour s'assurer un périple conforme à sa forme du moment et à ses envies. J'atteins Doban en une heure (bien moins que prévu), où je compte poser mes affaires et passer la nuit. Problème: les 3 lodges sont complets. Pas d'autre solution donc que de monter encore plus haut à "Himalaya Hotel", que je n'étais censé atteindre que le lendemain au soir. Je dois donc m'encaisser 350 mètres de dénivellé en plus, mais je les avale toujours aussi bien. Au final: 2 jours de marche en 6 heures 30 d'effort presque plaisant. Je suis décidemment bien plus à l'aise au delà des 2500 mètres, où l'air devient un allié, et non plus un poids avec lequel composer. Je pense également avoir trouvé après 3 jours de marche mes vrais rythmes de progression, tant quant à la cadence de mes pas, au placement de mes bâtons, qu'à la fréquence de ma respiration.

L'air frais est désormais un véritable carburant, qui me relance et tonifie à chaque inspiration. Le terrain, toujours aussi irrégulier et pentu, ne semble plus me poser les problèmes des premiers jours. Je passai la dernière heure de marche vers Himalaya Hotel en compagnie de Dennis et Jeff, 2 californiens rencontrés en chemin. Je presse cependant le pas afin de m'assurer une place de choix au moment de trouver un lit pour ce soir. Vers 14h40, j'arrive à Himalaya Hotel, hameau littéralement coincé entre les deux versants d'une vallée qui prend désormais de vrais airs de haute-montagne, en dépit de la végétation encore très présente malgré les 2900 mètres d'altitude.

J'aperçois depuis la cour extérieure quelques points haut-perchés à flanc de montagne: probablement des "Himalayan Yars" (le chamois local), ou autre représentant d'une faune pas effrayée par les pentes abruptes de la base de l'Annapurna Sud. Ce soir, je dormirai dans un bon vieux dortoir de famille, accompagnés de camarades de chambrée japonais, canadiens, US, et néo-z.

L'ambiance de l'endroit est un réel bouleversement. Les vestes de montagne et les bonnets sont désormais de rigueur, et ce n'est pas vraiment pour me déplaire. La population est également bien plus uniforme (grande majorité d'Européens complétée par une bonne diaspora japonaise). Le bon gros orage syndical éclate vers 17h. Aucun souci, tout le monde est bien à l'abri. J'atteindrai demain mon premier camp de base himalayien, celui du Machhapuchhere. L'appelation "camp de base" est toutefois erronée pour ce sommets puisque, maison des divinités oblige (on parle quand même de la demeure de Shiva là, c'est du sérieux), aucune ascension n'a jamais été tentée (sauf une, incomplète, en 1957).

"Désolé, c'est une soirée privée".

"Je suis comme un gladiateur Desperado envoyé en enfer pour une mission commando"

L'Annapurna I fût vaincu pour la première fois par Maurice Herzog. Le mec était tellement puissant que la carte népalaise le compte pour deux.

Une avalanche de 200 mètres de large vous coupe le sentier, le passage est réputé dangereux, et vous êtes seul. Que faites vous ?

 

Réponse A) : J'emprunte le pont situé en contrebas, traverse la rivière, et continue via le chemin sur l'autre versant

 

Réponse D, comme Débile) : De toute façon, la neige a durci, je peux marcher dessus. Et puis les blocs de glace, c'est marrant à enjamber.

 

Macchapuchhere - Cirque des Annapurnas, Népal

Le Macchhaphuchhere, unique montagne jamais gravie du Népal. Sans doute pour des raisons de syntaxe.

23ème jour (4ème jour de trek)

Himalaya Hotel (2920m) - Camp de base du Machhaphuchhere (3700m) ; + 800m

 

 

Imprudences

 

 

Je pars me coucher à 19h30 dans le dortoir du lodge. Je fis auparavant plus ample connaissance avec 3 trekkeurs fous, qui partage le dortoir. Charlie, un canadien qui vient de traverser l'Asie à moto, Eric, un US, et Eve, néo-Z dont la ressemblance avec Saskia (une bonne amie) m'amuse bien.

Les trois lurons viennent de s'avaler le Tour des Annapurnas en 17 jours et s'accordent un peu de rab' avec le sanctuaire. Le diner dans la salle à manger de la guest-house est très convivial. A vue du nez, une bonne dizaine de nationalités représentées autour de la grande table collective. Le dhal-bat, fort apprécié de tous, laisse place enfin de repas à un concours de "dégustation de piments", dans lequel je ne m'aventure pas. Une malaisienne bien sympathique m'apprend au passager les basiques (bonne nuit, bonjour..) en malais. Sur ce, je pars me coucher.

La nuit s'achève vers 6h15, où je sors immédiatement pour apprécier le paysage la veille bouché par l'orage approchant. Le sac fait et l'omelette descendue, je commence la marche vers le MBC en compagnie des 3 trekkeurs fous dont je parviens à accrocher le rythme. Fraicheur (relative) des jambes aidant, je les décroche au train et déboule seul dans la zone réputée avalancheuse de l'itinéraire. Le sentier, en fond de vallée, est cerné de tous bords par d'abruptes falaises, desquelles "dégueulent" régulièrement de massive coulées de neige, roche, et glace. Je m'engage sur le versant ouest (au soleil), pourtant coupé par une énorme avalanche datant d'un bon mois. Je parviens non sans mal à me frayer un chemin parmi l'amas de glace et à franchir l'obstacle. Je ne suis cependant pas fier de moi: j'aperçois un sentier "bis" sur l'autre versant, que j'aurais sans doute dû emprunter. La leçon est retenue.

La limite pluie/neige est désormais franchie. Les groupes progressent dans une neige progressivement réchauffée par le soleil matinal. Probablement pas habituée à la neige, la jointure d'un de mes batons (contrefaits) cède. Après une tentative infructueuse de bricolage, je me résigne à continuer mon ascension amputé d'une de mes 4 jambes. Je tacherai de trouver un bambou convenable comme substitut de fortune. Par chance, une forêt dudit végétal se situe à un jour de marche en contrebas. Ou ça? A Bamboo tiens.

J'arrive au terme d'une rapide ascension au MBC (Macchhaphuchhere Base Camp) sur les coups de 11h. Si le changement d'altitude n'avais pas été si conséquent (2900m - 3700m), j'eus probablement continué jusqu'à l'objectif final de l'ABC (Annapurna Base Camp). Je ne peux cepenant pas risquer une montée à 4 200 mètres en une matinée. Je me sens parfaitement bien, mais voyageant seul, je dois limiter les imprudences. Celle de ce matin suffit largement.

Petite remarque: les sorties de pause lors des ascensions sont désormais plus laborieuses. Les jambes brulent au moment de reprendre l'effort. Altitude? Fatigue musculaire? Sans doute une savante combianaison des deux. Très agréablement surpris par mes réserves en roupies, je m'autorise un exceptionnel déjeuner chaud en compagnie de frères/soeurs allemands bien sympathiques, où je me gave de momos légumes/fromage. Petite entorse au règlement que je m'impose, certes, mais que je peux me permettre vu le rythme de dépenses très (trop?) raisonnable que je tiens depuis le début du trek (à peu près 800 roupies/jour, soit un peu plus de 6 euros).

L'ambiance du dining room me plait beaucoup. Tout le monde se retrouve autour de la grande tablette pour passer l'après-midi ensemble. Les langues pratiquées partent dans tous les sens, et ce joyeux bordel est vraiment convivial. Un bon meltin-pot en altitude somme totue. Sur la banquette, les guides tapent le carton entre eux et jouent leur paie du jour.

24ème jour (5ème jour de trek)

MBC (3700m) - Camp de Base de l'Annapurna (4200m) - Dobhan (2600m) ; +500 , -1600

En terre promise

 

L'alarme programmée par précaution ne m'est d'aucune utilité. A 4h50 (et réveillé par l'excitation de l'ultime ascension), je sors de mon Deuer 4 saisons pour les derniers préparatifs. J'équipe mon Canon de sa batterie, dont j'avais pris soin d'optimiser ses capacités restantes en la gardant au chaud sur moi pendant la nuit (par les -2 degrés ambiants dans la chambre, elle se serait déchargée).

L'ascension commence au petit matin, à la frontale, et seul sur le chemin de neige tracé sur le flan droit de la montagne. Après 2 raidillions bien casse-pattes en cette heure très matinale et à cette altitude, la montée se poursuit en pente douce jusqu'au camp de base. Toute la marche durant, je fais face au majestueux Annapurna Sud, rosi par les premiers rayons de soleil. Une fois de plus de sitôt passé le panneau annonçant notre arrivée au camp de base, ma gorge se noue et de chaudes larmes roulent sur mes joues rougies par le froid tranchant. Ces émotions m'interrogent beaucoup, et je pourrai sans doute y trouver certaines réponses quant à mon avenir au sens large. Il ne serait pas cohérent d'ignorer ce qui manifestement s'impose à moi.

Je progresse à travers le champ de neige en direction de la moraine glaciaire. Un monticule de terre me sert alors de promontoir, où je reste de longues minutes prostré, immobile, devant l'immensité. Une silhouette au loin me fait alors de grands signes. Daisuke, rencontré à Chomrong il y a 2 jours, se joint à moi au milieu de ce spectacle grandiose. J'apprécie sa compagnie chaleureuse, bienveillante et complice, malgré le sensible écart d'âge (il vient d'avoir 30 ans).

Malgré une batterie à l'agonie, mon appareil parvient à mitrailler les scènes se présentant à nous, et qui vaudront surement de très bons clichés. J'axe mon attention sur la cime fascinante du Machhaphuchhere, que j'avais déjà pourtant bien capturée.

J'effectue la redescente en compagnie de Britanny (USA), Sarah (UK) et leur guide (un bon népalais au rire inimitable). Nous croisons en chemin Jeff et Dennis, avec qui j'avais fait la marche entre Dhoban et Himalaya Hotel. Quelques photos souvenir et des échanges de mail ne sont pas de trop au moment d'un au revoir convivial, au beau milieu du cirque des Annapurnas.

De retour au MBC, je flâne quelques instants au soleil, profitant des derniers instants dans ce cadre à la fois si saisissant et apaisant.

Vers 11h, j'entamai ma redescente veres la vallée, en solitaire. Cette liberté de mouvement m'interpelle alors une fois de plus: puis-je concevoir sensation plus magnifique que celle de cheminer comme bon me semble, à près de 4000 mètres et sous un ciel bleu profond, en maîtrise (presque) totale de mes capacités?

3 bonnes heures plus tard, je stoppe ma descente à Dhoban, où je partage ma chambre (finis les dortoirs) avec Mace, néo-Z d'Auckland. J'en profite pour lui lâcher quelques infos sur le parcours, lui qui se rend au MBC demain.

Demain, toujours, sera une très grosse journée, me menant (si mes jambes l'acceptent) de Dhoban à Gandruk (7 heures de marche prévues). Une bonne nuit ne sera pas de trop. 

 

Autel et drapeaux face au Macchaphucchhere. En contrebas, le camp de base de l'Annapurna.

Ca se voit pas comme ça, mais il fait très TRÈS froid

EXCLUSIF: La montée vers le camp de base de l'Annapurna dans la peau d'un myope sans lunettes

Tout en haut

25ème jour (6ème jour de trek)

Dobhan (2600) - Jhinu (1750) ; - 850m

 

 

Chute libre

 

 

Jour de descente par excellence. Les grands moments sont passés, mais le chemin du retour offre encore de belles choses, telles que cette traversée de l'épaisse forêt de rhododendrons en fleur s'étalant entre Bamboo et Sinuwa.

Le matin, je dis au revoir à Mace, qui s'installe en Europe dans un mois (probablement à Londres), et entame ma marche de bonne heure. La grosse difficulté du jour (descente abrupte vers la rivière en contrebas de Chomrong puis remontée par le très raide (et long) escalier menant au village) passe assez bien. Les 400 mètres de dénivellé sont avalés en compagnie de Shannon, une californienne également sur le chemin du retour. Plus haut dans la vallée, l'orage gronde déjà. Mon pote Mace, qui montait vers le MBC, doit passer un sale et humide quart d'heure.

En arrivant au sommet de la colline sur laquelle Chomrong s'étend de bas en haut, quelques grosses se chargent de nous rafraichir. Il est clair que ni le temps menaçant ni l'envie ne me permettent de rallier Gandruk ce soir. J'opte donc pour une solution plus "sage", à savoir m'arrêter à Jhinu, à mi-chemin de la descente après Chomrong, village bien connu pour ses sources et bains d'eau chaude. Je ne les fréquenterai pas cet après-midi là, préférant m'envoyer une bonne sieste de deux heures.

Arrivé à Jhinu, j'eus le temps de craindre une pénurie de lits disponibles (les 2 premières guest-houses étaient pleines), la faute à ces énormes groupes coréens ou chinois, monopolisant à eux seuls parfois un village entier. J'arrivai cependant à me trouver une place dans le dortoir (de trois lits) de "l'Hotel Tibet", modeste barraque où je retrouvai les trekkeurs fous abandonnés la veille sur les pentes menant à l'ABC.

26ème jour (7ème jour de trek)

Jhinu (1750) - Nayapul (1070) puis Pokhara; - 680m

 

 

Parmi les hommes

 

 

Dernière journée de retour à la "civilisation" assez banale. J'emprunte le chemin peu fréquenté ralliant directement New Bridge à Kyumi. Le sentier, alternant longues portions de plat à flanc de montagne et escaliers abrupts, me mène jusqu'à Siyauli Bazar, où des convois de jeeps attendent les dizaines de trekkeurs chinois dépassés en chemin. Je ne cède cependant pas à la tentation d'une fin assistée et rejoinds Nayapul par la piste poussiéreuse rejoignant le début de la vallée.

Je traverse de nombreux petits villages, témoins de mon retour à la vie "normale", et suis au passage irrité par la mécanique infaillible des gamins que je croise, me saluant systématiquement par un "Namastégivemesweet" ("bonjourdonnemoiunbonbon") aussi impersonnel qu'automatique. La fatigue de fin de trek combinée à la chaleur revenue avec l'altitude décroissante me rend assez froidement hermétique à leurs demandes. Un désenchantement au beau milieu d'un rêve?

A mon arrivée à Nayapul, un taxi m'accoste et me propose le retour à Pokhara pur 1500 roupies, que je fais baisser à 1000, direction le lodge où j'avais passé ma nuit d'avant-trek.

Le trajet en taxi (et dépose au lodge) n'est pas un si mauvais calcul pour le retour. Prendre le bus aurait été bien plus long (2 heures minimum), chaotique, et au final pas énormément moins cher, sachant que le taxi aurait été dans tous les cas nécessaire pour rejoindre le lodge (300 roupies la course). Me voilà donc en une demi-heure à mon Nahohana Lodge, dans lequel je remménage sur les coups de 14h. Du balcon, j'aperçois le parc d'attractions (couplé à une grande scène) dressé sur les rives du Phewa Lake à l'occasion des festivités du nouvel an népalais que l'on célèbre ce soir. Demain, nous serons en 2071. Si si. Le temps passe vite.

Trek du camp de base de l'Everest

 

Lukla -  Camp de Base de l'Everest - Kala Patthar - Lukla

 

17 jours - Dénivellé positif: 4670 mètres

Les stats à la con:

Distance parcourue: 93 kilomètres

Poids du sac au départ: 17 kilos 100 grammes

Stock de snacks: 3 sachets de sucre blanc (200g x3), 8 Mars, 8 Kit-Kat, 10 barres de céréales.

Espace de carte mémoire utilisé: 44 Go.

Point le plus bas: Phakding (2600m).

Point le plus haut: Kala Patthar (5550m)

Blessures: 2 ampoules.

"Namaste" prononcés: 637 284 901

En orange, les chemins empruntés uniquement sur le trajet retour.

Contexte: je rallie Kathmandou en bus, malade. J'ai sans doute trop fêté mon trek de l'Annapurna, et je me sens faible. 3 jours de traine plus tard, c'est le jour J. Il est temps de retrouver les montagnes. Et pas n'importe lesquelles.

32ème jour (1er jour de trek)

Kathmandou - Lukla (2800m) - Phakding (2600m)

 

Changer d'air

 

J'attaque donc le très gros morceau de ce voyage dans un état proche de la convalescence. Mon régime 100% riz blanc des derniers jours fut parfois difficile à suivre, mais je dois finir d'assainir mon organisme avant de retrouver mes dhal-baats bien aimés.

J'attrape donc ce matin là un taxi pour l'aéroport et son terminal dédié aux vols domestiques, bien loin des standards européens. Première bonne nouvelle: le seul tableau d'affichage électronique n'annonce aucune annulation pour les vols vers Lukla.

Deuxième bonne nouvelle: mon ventre me laisse tranquille. Une fois mon sac et mon bâton bien-aimé (celui trouvé sur les pentes de l'Annapurna, que je compte bien ramener en France) déposés, je patiente une bonne heure dans un hall peuplé à 80% de chinois, dont un groupe se prenant en photos (et pas qu'un peu) avec des moines tibétains également en partance.

Nous patientons (les 15 autres passagers + moi) devant le petit coucou de Tara Air pendant une vingtaine de minutes pour "régulation du trafic aérien". Pendant ce temps, je m'amuse des méthodes "à la népalaise" pour faire démarrer un autre avion à proximité: on tourne les hélices à la main en attendant que le moteur prenne le relais.

L'intérieur exigu de l'avion me fait cotoyer quasi-directement le pilote (je suis assis juste derrière lui), qui nous "fournit" un vol sans encombre (25 minutes) jusqu'à Lukla, dont j'aperçois la piste d'atterrissage depuis mon siège. Le bout de tarmac en pente coulé en bord de falaise semble a priori beaucoup trop court mais au final, je préfère prendre le truc comme une attraction gratuite au Parc Astérix et le moment devient assez marrant. Je retrouvai mon sac (un peu trop lourd en ce début de trek) et mon bâton (qui amuse bien les gars de la police locale avec qui je plaisante deux minutes), puis me mis directement en route pour Phakding, que j'attins deux heures de marche plus tard. L'air d'altitude (déjà 2600 mètres), bien plus respirable que celui de Katmandou, semble me convenir bien davantage. Je m'installai au "Kala Patthar Lodge", tenu par une gérante souriante et blagueuse. La petite chambre m'accueille pour 3 heures de sommeil réparateur (qui ne sont pas de trop) auxquelles du terme la patronne des lieux me lance un "Good Morning" qui nous décroche un bon rire. Mon traitement antibiotique semble stabiliser mon état, mais vigilance reste encore obligatoire. C'est seulement quand il est d'une stabilité précaire que l'on se rend compte du bien-être que procure un tube digestif en bonne condition. Allez, croisons les doigts.

 

Et comme dirait Joël Robuchon..

La "réputée" piste de Lukla,

"l'aéroport le plus dangereux du monde" (sic)

Faut pas se rater

"Bordel, quand on rentre sur la piste."

Booba

"Là je suis pas bien"

Maitre Gims

 

33ème jour (2ème jour de trek)

Phakding (2600m) - Namche (3440m) ; +840

 

De l'avant

 

Le début de nuit est celui de tous les doutes. Tous les scénari me passent par la tête et m'encombrent l'esprit, mais je parviens à trouver le sommeil pour une récupération sans encombres. 

Je prends la route de Namche vers 8h, dans une fraicheur matinale qui me permet d'avancer rapidement malgré quelques bouchons causés par les nombreux convois de yaks et d'ânes cheminant eux aussi vers Namche. Je suis surpris par le nombre de checkpoints jallonant le parcours (4 pour la seule journée d'aujourd'hui). Le sentier monte et descend gentiment jusqu'à un impressionnant pont suspendu à partir duquel le chemin s'élève brutalement. Les lacets abrupts et poussiéreux me conduisent au bout de 4 heures de marche à Namche Bazaar, "capitale" de la région du Solu Khumbu. Le village (ou plutôt la ville) construit à flanc de montagne impressionne par son étendue, vu l'altitude déjà élevée (3500 mètres ou presque). J'aurai tout le temps de le découvrir, puisque je compte y passer 2 jours, afin de m'acclimater en douceur. La fin d'après-midi m'autorise une petite balade sur les hauteurs, d'où j'aperçois pour la première fois l'emblématique Ama Dablam. Le régime riz blanc-thé noir que je m'impose par sécurité semble me réussir plutôt bien. Je me sens bien plus léger, et pour marcher, c'est assez pratique.

34ème jour (3ème jour de trek)

Acclimatation à Namche

 

Nouveau souffle

 

Réveillé par la lumière du jour, je saute dans mes Asolo  (mes chaussures de marche hein) direction le point de vue de la veille, où je profite cette fois d'une vue parfaitement dégagée. Premier constat: je m'étais honteusement gourré sur l'Ama Dablam. Celui-ci, plus en retrait dans la vallée, se distingue nettement en ce matin là. Tout au fond, j'aperçois pour la première fois la pyramide sommitale de l'Everest, encore bien petite de là où je me trouve. De retour au village, je décide de m'accorder LA fantaisie de ce trek: un massage de 45 minutes pour me soulager le dos, qui en avait bien besoin. J'ai arrêté les antibiotiques hier soir et je me sens déjà mieux. Seul, il est préférable de rester (trop) prudent et d'espérer que je retrouverai très vite un état "stable", au sens de pourvoyeur de plus de certitudes quant aux jours à venir.

Profitant d'une séance UV sur la terrasse du lodge, je tape la causette à un couple de suisses ayant lâché (depuis 9 mois) leur Romandie natale pour voyager à travers l'Asie. Partis de Saint Petersbourg, ils ont construit leur chemin à travers Russie, Mongolie, Chine... bref, encore des histoires fascinantes qui commencent à s'accumuler avec les semaines qui filent. Je fais également connaissance avec Andrew, un sudaf' (le premier rencontré depuis mon arrivée en Asie) natif de Durban. Le repas agrémenté de mo-mos (première vraie nourriture hors riz blanc depuis 5 jours) est très convivial. La conversation s'engage ensuite avec les guides népalais et la gérante du lodge, après que leur aie fait part de mes interrogations quand l'accident dont tout le monde parle au village (voir par ailleurs). On me confirme que toutes les expéditions sont annulées, et que les guides-porteurs népalais se mobilisent en vallée. L'arrive donc à un moment inédit, qui me pousse à en savoir plus sur la condition des travailleurs de l'Everest dans les jours à venir.

35ème jour (4ème jour de trek)

Namche (3440) - Tangboche (3870) ; -240, +670

 

De plus belle(s)

 

Tout semble se remettre en place dans mon estomac. Me voilà donc en route pour Tangboche, après un réveil précoce (5h30) et un réapprovisionnement en espèces au distributeur de billets du coin (à 3500m !). La sortie de Namche, très raide, ne dure cependant pas plus de 20 minutes, et débouche sur un merveilleux sentier en balcon, le long du flanc ouest de la vallée. Je retrouve (dans la vraie vie et de mes propres yeux) les paysages admirés dans le Trek Magazine Spécial Népal que papa m'avait acheté, et que j'avais dévoré à maintes reprises. L'Ama Dablam surplombe les alentours et m'accompagne jusqu'en fond de vallée, où j'entame la remontée (très raide encore) vers Tangboche. Un énième checkpost plus tard (celui de l'armée cette fois), je traverse une forêt de rhododendrons en fleur, d'où le chemin s'élève brutalement. La voie, très poussiéreuse, ainsi que la végétation quasi-méditerranéenne et l'odeur de pin embaumant l'air me rappellent ces sentiers du littoral que j'ai l'habitude de parcourir vers chez moi, en Provence. Curieuse sensation de se sentir un peu comme à la maison sauf qu'ici, l'altimètre tutoie déjà les 4000m.

En cours d'ascension, je rencontre un très sympathique couple du Nebraska, avec qui j'engage la conversation. Sylvia et Roger me parlent de leur périple mais aussi très rapidement de leur fille ayant passé 3 ans à Aix, ainsi que de leurs séjours dans ma ville fétiche. Quelques heures plus tard, ils me feront même les louanges du restaurant "Maxime", où nous avons nos habitudes. Petit monde.

Une fois la montée vers Tangboche achevée, le paysage s'ouvre subitement sur un immense haut-plateau d'où les plus hauts sommets du SoluKhumbu nous contemplent. L'heure très raisonnable (14h) me permet une première visite du réputé monastère de Tangboche, dont je prends le temps d'admirer les merveilles. J'y reviendrai demain matin pour la cérémonie quotidienne.

L'heure du dîner arrivée et l'appétit bel et bien revenu (quel bonheur!), je passe la soirée attablé avec Sylvia et Roger, dont l'incroyable passion pour les montagnes et immuable malgré les années (tous deux sont à la retraite) m'impressionne et force mon admiration. Je suis désormais invité dans leur maison au fin fond du Colorado pour y découvrir les sommets du coin. Un projet de plus!

Les deux galettes pomme de terre/oeuf (ainsi que les bières offertes par Roger) m'ont définitivement remis d'aplomb. J'entame donc demain la "pré-haute montagne" avec un moral au beau fixe, soulagé de pouvoir compter sur un organisme fiable et qui je le sais, me mènera au bout de mes volontés les plus profondes.

36ème jour (5ème jour de trek)

Tangboche (3870) - Dingboche (4410) ; -150, +700

 

Un truc de boche

 

Une bonne insomnie entre 1h et 3h me fait renoncer à la cérémonie du matin se tenant au monastère. Je m'autorise un départ plus "tardif" qu'à l'accoutumée (je ne décolle que vers 8h30), qui me permet de partir "après la meute". La forêt de rhododendrons que je traverse en redescendant vers Deboche est également la dernière trace de végétation type "moyenne montagne" avant la bascule en zone aride, à partir du pont franchissant la Inya Khola à hauteur de Millinga. Le sentier part dans une multitude de directions et il est parfois difficile de suivre la voie principale.

Je me retrouve ainsi avec un couple d'Américains dans un passage délicat et en apic complet, nécessitant quelques fondamentaux d'escalade. La suite de l'ascension vers Pangboche se fait au rythme des nombreux bouchons causés tantôt par les convois de yaks (il n'y a plus que ça à cette altitude, les ânes restent en vallée) tantôt par les nombreux groupes organisés, progressant à allure réduite. Je garde de mon côté un rythme soutenu, afin de dépasser le gros de la foule et d'aborder la partie plate en solitaire.

Le franchissement de Pangboche marque l'entrée définitive dans les zones à plus de 4000 mètres. La végétation, bien plus éparse, laisse place à un paysage désertique, toujours aussi poussiéreux. Au contraire de la remontée vers le camp de base du Macchapuchhere (sur le trek du sanctuaire des Annapurnas) se faisant dans une vallée très encaissée, le chemin progresse le long d'un haut-plateau d'où j'admire l'Ama Dablam (désormais littéralement en face de moi) ainsi que le massif de l'Hinku Himal, comprenant les majestueux pics du Thamserku et du Kangtega, observés la veille depuis Tangboche. J'aperçois brièvement la cîme du majestueux Pumo Ri, qui disparaitra dans les nuages pour le reste de la journée. Malgré la reconnaissance du trajet faite le matin même, j'emprunte le mauvais chemin et arrive à Dingboche, à l'Est de Pheriche, ma destination initiale.

L'éloignement très réduit entre les deux villages, ainsi que le confort tout à fait acceptable des lodges me font poser mon sac sur les coups de midi, dans cette quasi "bourgade" perchée à 4400 mètres, où j'étais dans tous les cas censé me rendre demain, pendant ma journée d'acclimatation (obligatoire après un passage de 3800 à 4400 mètres).

Je rattrape une bonne partie du sommeil égaré la nuit dernière grace à une "sieste" avoisinant les 3 heures. Je rencontrai auparavant Craig et Maddie (mon âge), également en route pour le camp de base. Je ferai peut-être un petit bout de chemin avec eux, tout comme ces deux gars de Manchester (à l'accent typique) que je retrouvai à table, après leur avoir parlé 3 jours plus tôt sur le chemin de Namche.

Bien entendu, je prends le temps de poser la question essentielle pour tout mancunien: United ou City? Réponse des deux: United, dont l'entraineur vient de se faire virer (j'appris la nouvelle par leur intermédiaire). Tough times.

Je m'accorderai une petite marche d'acclimatation demain, sur les pentes du NangkarTshang (5616m), sans sac, et sans souci de santé quel qu'il soir. Libéré, donc.

37ème jour (6ème jour de trek)

Dingboche (4410) - Nangkartshang (4900) - Dingboche ; +500, -500.

 

Prologue

 

Certains raccourcis de pensée pourraient tendre à rapprocher acclimatation et repos. Passés 4000 mètres, il est de bon ton de corriger cette erreur par une bonne grosse marche à plus haute altitude. Après un Tibetan Bread/Miel du meilleur effet en guise de petit-déjeuner, je m'attaque (comme une bonne partie des occupants du lodge) au très pentu NangkarTshang, orné de plusieurs petits stupas. La "colline" (à l'échelle du SoluKhumbu) offre des points de vue remarquables sur le Cho La Tse, l'Ama Dablam, ainsi que sur les vallées de l'Imja Khola et du Lobuche Khola. J'assiste depuis les hauteurs à un surprenant ballet d'hélicoptères volant entre Pheriche et Thokla, ramenant probablement de l'équipement en provenance du camp de base de l'Everest.

J'arrête mon ascension vers 4900 mètres. Pas question de pousser mon organisme dans ses retranchements, d'autant que le froid vif à cette altitude et un léger mal de tête commencent à se faire sentir. Je profite de la vue dégagée pour repérer depuis les hauteurs le sentier que j'emprunterai demain entre Dingboche et Thokla. Mon plan n'est d'ailleurs toujours pas arrêté. La plupart des groupes rallient directement Lobuche (4900m) mais je m'interroge encore quant à l'opportunité d'une telle progression, sachant que Thokla (4600m), situé à mi-distance, m'offre une bonne solution intermédiaire. On verra bien demain ce que mon corps me dit. En attendant, il est grand temps d'aller se coucher. Ah oui, juste un truc. Un poster affiche sur l'un des murs de la salle à manger porte le souvenir de la "Park 5 Grand Slam Expedition". Au menu: les 14 8000 mètres de la planète, les 7 sommets des 7 continents, et la conquête des pôles Nord et Sud. Gros programme. Il faudrait pas que ça me donne d'autres idées hein.

 

 

38ème jour (7ème jour de trek)

Dingboche (4410) - Lobuche (4920) ; +510.

 

A la hauteur

 

Où qu'elle se produise, l'émerveillement après une chute de neige est toujours le même. En regardant à travers la fenêtre, j'ai la surprise de contempler un paysage blanchi par 10 bons centimètres de poudreuse, tombés pendant la nuit. Je me rue dehors en cette heure très matinale (6h) et admire la haute-vallée, au visage radicalement changé par rapport à hier. J'évoluerai donc aujourd'hui dans un univers de haute-montagne, renforcé par les caprices de la météo. La marche vers Dughla (ou Tokhla, au choix) est très agréable. La lente procession s'éparpillant tout le long du sentier drappé de blanc est un spectacle que je prends le temps d'apprécier. Arrivé à Dughla, je retrouve plusieurs trekkeurs abandonnés le matin même. Tous se dirigent vers Lobuche et vu l'heure précoce ainsi que mon état de forme général, je me décide à les suivre. 30 minutes de marche éprouvante m'emmènent jusqu'au Thokla Pass, où sont érigées plusieurs stèles en mémoire des alpinistes décédés sur les pentes des géants environnants. Je pénètre alors dans l'ultime portion de l'ascension, où les marcheurs désormais directement face mythes himalayiens. Ma gorge se serre au moment où le Pumo Ri émerge des collines et dévoile son impressionnante et si esthétique silhouette.

L'altitude et la quantité d'efforts pour en srriver là me fait subitement changer d'état d'esprit concernant les camarades d'ascension que je cotoie ici. J'empruntai le pas de 3 canadiens que je considérai comme équipiers, unis devant la tâche que nous nous imposons. Me voilà ce soir à quelques pas des 5000 mètres, et à une journée de l'objectif suprême: le camp de base de l'Everest, que j'atteindrai normalement demain.

 

 

L'important avec les stupas, c'est de les prendre par la gauche

Ascension du Kala Patthar

Même la GoPro est dans le brouillard

39ème jour et 40ème jour (8ème et 9ème jours de trek)

 

Lobuche (4920) - Camp de base de l'Everest (5364m) - Gorak Shep (5140) ;  +440, -220.

Gorak Shep (5140) - Kala Patthar (5550m - Alt.max) - Lobuche (4920) ; +410, -630

 

"French Jesus"

Jusqu'aux limites

 

Le flatteur surnom biblique n'est pas autoproclamé. Il est la trouvaille d'Andrew, le trekkeur sud-africain rencontré à Namche, que je recroisai ce matin dans la moraine piégeuse du Changri Shar, sur le chemin du retour vers Lobuche. Je quittai justement Lobuche la veille vers 8h pour deux heures de marche vers Gorak Shep (plus haut lieu habité du Népal), au cours de laquelle le terrain très accidenté m'oblige à la plus grande vigilance si je ne veux pas y laisser une cheville. La sortie de Lobuche (une interminable ligne droite en faux-plat dominée par le Pumo Ri) cède brutalement face à la moraine glaciaire et ses incessantes et éprouvantes montées-descentes, que je ne quittai plus jusqu'à Gorak Shep. J'arrive (dans le joyeux bordel des randonneurs sur le départ revenant de l'ascension matinale du Kala Patthar et des arrivants, pressés de repartir vers le camp de base de l'Everest une fois leurs affaires déposées) à trouver une très "simple" chambre du même qualificatif, où je m'allège de quelques kilos inutiles avant de foncer vers le camping géant dressé le long du gigantesque glacier du Khumbu. Malgré le gain en altitude assez modéré (+200m de dénivelé, un détail!), le parcours vallonné et technique n'est pas de tout repos. J'aperçus les innombrables petits points oranges parsemant le fond de la vallée au bout d'une heure, mais il m'en fallut encore une bonne de plus pour atteindre enfin les premières tentes.

L'émotion alors ressentie est bien différente de celles qui étaient miennes sur le parcours du sanctuaire des Annapurnas.

Ici, l'accomplissement est avant tout physique. Cette sensation de dépassement de soi est renforcée par les incertitudes ayant émaillé le début de ce trek et qui me rendent avant tout fier d'avoir rempli l'objectif que je m'étais fixé: aller au bout, tout au bout, là où le tortueux chemin s'arrête face aux infranchissables murs de roche et de glace.

Me voilà donc au bout de chemin, mais encore bien éloigné de la fin de mon périple.

J'ai cheminé au plus loin. Il me reste désormais à monter au plus haut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A mon retour à Gorak Shep, la fatigue et l'altitude me clouent au lit en attendant le dîner. L'air des 5150 mètres ambiants assèche ma gorge, douloureuse à chaque déglutition. Aussitôt mon dhal-baat descendu (double ration tout de même, je ne perds pas l'appétit!), je pars me coucher, accompagné d'un fort et permanent mal de tête, résistant aux Doliprane que j'administre à doses restant raisonnables.

Mon fol espoir d'atteindre directement le matin grace à une longue nuit de sommeil s'évanouit vers 23h, où je me réveille quasi-naturellement. Les heures qui suivent, interminables, me replongent dans des inquiétudes plus marquées: et si je m'étais poussé trop loin, trop fort?

A 5h du matin, le battement des pas des premiers randonneurs se mettant en route pour le Kala Patthar me pousse hors du lit. J'eus le temps de repenser aux nombreuses lectures que je m'étais imposées sur l'altitude et ses dangers. Un mal de tête supportable n'est que peu dangereux s'il ne s'accompagne pas d'autres symptômes, dont aucun ne se fait ressentir au moment où je me prépare à l'ascension.

5h50. J'attaque d'un pas le plus lent et régulier possible la très raide montée vers le Kala Patthar. Deux autres lève-tôt (allemands) se joignent à ma progression, ce qui a le mérite de me "rassurer" encore un peu plus. 

 

Le froid vif semble anesthésier mes douleurs craniennes, que je ne ressens plus que par intermittence, à l'inverse de mon rythme cardiaque, que je m'efforce de réguler par de lentes et profondes inspirations. 

A 5400 mètres (soit à mi-distance du sommet), la concentration en oxygène diminue de moitié par rapport au niveau de la mer, et le coeur doit compenser cet écart. 

Chronomètre en main, je décide de mesurer mon pouls, mais ici, les taches les plus élémentaires me paraissent surhumaines. Mon cerveau ne suit plus vraiment, je le sais et je le sens. Je mets plusieurs minutes à effectuer une simple multiplication (39 pulsations en 15 secondes, à multiplier par 4) et constate que je frôle les 160 pulsations/minute. Les 400 mètres à fond courus toutes ces dernières années sur la piste du stade Carcassonne m'ont habitué à de telles sensations, et j'arrive à en garder la maitrise.

Deux heures viennent de passer, sans que je ne puisse sortir du brouillard mental dans lequel je suis plongé. Je sais à peu près vers où je marche, mais il y a bien longtemps que j'ai perdu ma lucidité. Presque plus rien n'existe réellement. Juste moi, le chemin, la pente, et l'air que je respire.

Je focalise tout ce qui me reste de capacité de concentration sur mes pas.

"Pied droit-baton gauche, pied gauche-baton droit, pied droit-baton gauche, pied gauche-baton droit..", voilà ce que je me répète sans cesse. Mes foulées sont minuscules, 20 centimètres tout au plus, mais je ne peux faire autrement.

Dans un moment d'égarement, je me dis alors "Il se passerait quoi si tu tapais un sprint sur 15 mètres là ? Bah tu crèves, sans nul doute". Je rigole tout seul, puis retombe dans ma lente routine.

 

Après une éreintante dernière portion où j'aperçois les drapeaux de prière disposés au sommet sans avoir l'impression de m'en approcher d'un centimètre pendant 20 bonnes minutes, je parviens enfin au point le plus élevé (et le plus symbolique?) de mon périple. 5550 mètres. Je passe près d'une heure à contempler et immortaliser l'incroyable vue sur le massif du Sagarmatha, les Nuptse, Lhotse, Changtse, encadrant un Everest encapuché de son légendaire voile blanc.

Je redescendis le pas alerte et léger, après avoir prélevé un échantillon de cette terre sacrée, que je ramènerai jusqu'à la maison. Mes affaires récupérées et l'addition du lodge réglée, je quittai ce si particulier "bout du monde" (très relatif vu la fréquentation) et retournai à Lobuche.

Quelques heures de réflexion ont affiné mon plan de retour: je ne me rendrai pas dans la vallée de Gokyo par le très élevé Cho La Pass. L'ampleur de la tâche déjà réalisée et l'infinie satisfaction qu'elle me procure me conforte dans l'idée d'une fin de trek plus tranquille. Je prendrai le temps de cheminer vers Namche, et d'apprécier quelques marches moins éprouvantes dans les environs. "French Jesus" a déjà parcouru un grand chemin, et sa barbe, inviolée depuis le début du voyage lui rappelle ô combien ce dernier a été long. Et beau.

 

MAJ du soir: je viens de prendre le diner avec deux gars dont l'expédition pour l'Everest vient d'être annulée. Probablement la forme la plus évoluée de dépit et de déception que j'aie pu voir de toute ma vie. Programme pour eux maintenant: "Drinking all the way down". Dur.

 

 

Les grandes dames n'ôtent pas leur chapeau.

41ème jour (10ème jour de trek)

Lobuche (4910) - Pangboche (3900) ; -1010

 

Solitude et disparition

 

C'est décidé, le traket retour vers Lukla sera calme et serein ou ne sera pas. Malgré une nuit glaciale (la bouteille que j'avais placée à côté de mon lit n'était plus qu'un glaçon géant au matin, ça donne une idée de la température), je dors bien, et me permet de "trainer" au lit jusqu'à 7h30. En décalant mon départ, j'évite le froid et la foule. Autant donc ne pas se presser. Dès ma sortie du lodge, je comprends que mon calcul de paresseux est le bon: pas un chat ni même un yak sur le sentier. Le haut-plateau que j'emprunte, encore engourdi et blanchi par les fortes gelées nocturnes, m'envahit de son silence absolu. Je posai alors au sol mon bien trop lourd compagnon de route pour m'imprégner de ce moment rare où l'immensité s'exprime de son plus grand potentiel, débarassée de tout son parasite. Le contraste saisissant de ces géants de roche et de glace, symboles de la toute-puissance terrestre, plongés dans le plus parfait des mutismes, me frappe autant qu'il m'enchante. Les rares âmes que je croise ce matin là, essentiellement des porteurs et presque aucun randonneur, ne troublent pas ma quiétude. La raide descente vers Tokhla me rappele cependant que les paysages himalayiens s'admirent à l'arrêt, lorsque je me fis une belle frayeur en me tordant légèrement la cheville sur une pierre une peu trop malicieuse, la faute à une tête un peu trop dans les nuages.

Mes très fiables et robustes Asolo rattrapèrent heureusement ce faux-pas, l'occasion de vanter les mérites de cette paire achetée sur les conseils avisés de Maman et de la gérante de Jean-Paul Sports, sans laquelle mes chevilles seraient déjà bien plus plus souvent parties à la perpendiculaire (merci les tiges-hautes).

Je constatai, en achevant la très longue descente vers la vallée du Lobuche Khola, que j'avais fait le bon (et involontaire) choix à l'aller en remontant sur Thokla via le sentier à flanc de montagne depuis Dingboche, m'évitant une étape Pheriche-Lobucge d'abord très plate, puis très pentue sur une distance non négligeable (+500 D+ d'une traite du lit du Lobuche Khola au Thokla Pass).

Je longeai ensuite la rivière sur 3 agréables et toujours aussi paisibles kilomètres en direction de Pheriche, seulement perturbé par les troupeaux de yaks en train de paître tranquiellement hors des enclos. A mon entrée dans Pheriche, je tombai sur cette inquiétante affiche titrée d'un "MISSING", portant disparition d'un trekkeur slovaque aperçu pour la dernière fois à Dingboche il y a déjà 6 jours de cela. J'avais eu vent de la nouvelle lors de mon passage à Dingboche, me rappelant que les zones où j'évolue librement sont tout aussi fascinantes que dangereuses.

J'empruntai ensuite la portion de sentier loupée à l'aller, qui me ramena tranquillement vers Pangboche. Les 1000 mètres de dénivellé négatif (en 3h30 de marche) passèrent étonnament bien, surement grace aux jours en haute altitude qui ont affiné ma condition physique.

 

 

42ème jour (11ème jour de trek)

Pangboche (3900) - Phortse (3800) ; +300, -400

 

Chemin de traverse

 

Je quittai l'atmosphère sereine et apaisante de mon lodge vers 8h30 (Vous remarquez? Les heures de départ se font de plus en plus tardives), direction Phortse. J'ai choisi cet itinéraire plutôt que le classique aller-retour via Tengboche car beaucoup plus sauvage. Le sentier, très escarpé, est littéralement taillé dans la montagne. Je chemine pendant deux heures sur une bande de terre et pierre mêlées, jamais plus large que d'un mètre cinquante (le plus souvent bien moins), et toujours en apic (un bon kilomètre de vide à vue de nez), offrent une magnifique et imprenable vue d'ensemble sur le parc de Sagarmatha et ses innombrables sommets (Ama Dablam, Kangtega, et Thamserku en tête).

Les 3 pauvres visages occidentaux croisés aujourd'hui renforcent mon constat d'hier: ce trajet retour est celui des longues marches solitaires et aujourd'hui, des rencontres impromptues avec la faune locale. Je tombai ainsi nez à nez avec un chamois himalayien (himalayan yar) au détour d'un versant. Quelques minutes avant se posait dans mes pas l'ombre majestueuse d'un aigle royal me survolant au ralenti d'à peine plus de 3 ou 4 mètres. Ce contact rapproché avec la nature sauvage m'aide à oublier mon dos (en particulie un noeud très douloureux sous l'omoplate gauche) qui commence à me faire grincer quelques dents.

Après 3 heures 30 de marche intense et physique, je m'installai dans une petite chambre du "Phortse Lodge and Restaurant". Pas facile d'ailleurs de se repérer dans ce village en pente, où les rares sentiers coupant les champs ne se dont que très peu visibles. Je sympathisai avec le "gérant" du jour, un gars de 18 ans qui vient de finir le lycée et apprenti guitariste. Je grattai quelques accords sous les yeux de la famille, moment vraiment sympa. Un fille un peu plus âgée me parlait également de sa soeur, émigrée en France, qui a notamment participé à l'Ultra Trail du Mont-blanc, une des courses en montagne les plus réputées au monde. Aj oui, j'oubliais, au cours de ma balade de l'après-midi, j'aperçus l'oiseau national du Népal, dont je peine à me rappeler le nom. Le volatile, au ramage bleu vif et au panache multicolore, fait un peu penser à un paon. Mes talents très limités d'ornithologue m'empêchent de pousser la description davantage.

 

 

43ème jour (12ème jour de trek)

Phortse (3800) - Namche (3440) ; +300, -600)

 

Serrer les dents

 

Dernier jour de "grande marche" avant la pause prolongée à Namche. Depuis la fenêtre de ma chambre, j'aperçois le segment fendant le versant faisant face à Phortse: le début de journée va être très raide. Une descente en sous-bous me mène jusqu'au hameau de Phortse Tenga, où je traverse la rivière du Dudh Koshi. Au loin et plus haut se profile la vallée de Gokyo, qui conservera ses mystères, du moins jusqu'à la prochaine fois... La très raide ascension avers Mong (3930m) dure quasiment deux heures, où mon dos (en particulier la zone sous l'omoplate gauche) me met épisodiquement à l'épreuve d'une douleur à la limite du supportable. Je parvins au "sommet", ou plutôt à la crête, d'où je basculai dans la longue et régulière descente vers Kyangjima, entrecoupée sur sa fin d'escaliers qu'il fait meilleur emprunter dans ce sens. La dernière portion vers Namche, assez plate, n'est qu'une "formalité" assez banale où j'essaie d'oublier les douleurs qui me lancent désormais dans tout mon flanc gauche. Une fois Namche et mon "Ama Dablam Lodge" atteint, je me relachai enfin. Cette fois oui, le plus dur est fait.

 

 

44ème - 46ème jours (13ème-15ème jours de trek)

Namche (3440)

 

Non, rien de rien.

 

Repos passif (et pleinement assumé) à l'Ama Dablam Lodge où je retrouve avec joie Andrew, mon pote sudaf' créateur originel du "French Jesus" ®. Nous en profitons pour échanger avec des groupes ayant atteint le camp de base quelques jours après nous. A les entendre, je fus très chanceux. Le temps changeant n'a apparemment pas épargné les trekkeurs suivant nos traces, dont presque tous furent malades à cause de l'altitude et des variations de pression dues à la dépression passée sur le SoluKhumbu. Nous apprenons que deux russes étaient décédés au camp de base de l'Ama Dablam (4900m "seulement"), des suites d'un mal des montagnes trop prononcé (le mot est faible).

 

 

47ème jour (16ème jour de trek)

Namche (3440) - Phakding

 

Have you heard of the story of the Danish couple?

 

Ce titre n'est rien d'autre que la récurrente blague nous ayant accompagné toute cette journée de marche. L'histoire est simple: la veille au soir, un couple de danois nous racontait leurs déboires sur le chemin menant à Gorak Shep, puis au Kala Patthar. La faute (encore) à l'altitude qui semble t-il, tourmente bien des têtes et des estomacs.

Les courageux que nous croisâmes entre Namche et Phakding furent ainsi soumis à la mystérieuse question du malheureux duo scandinave. En fin de trek, il en faut peu pour se marrer.

Je quittai Namche en compagnie d'Andrew et Krishna, son guide, avec qui j'eus également le temps de sympathiser pendant nous journées au calme. La rapide (mais raide) descente vers le grand pont suspendu nous permet d'apprécier à sa plus juste mesure les efforts qui furent les nôtres en début de trek, à juger des rictus des randonneurs croisant notre chemin. Nous tombâmes également sur un malheureux âne à la patte meurtrie et laissé (temporairement) en bord de chemin, dont nous retrouvâmes quelques centaines de mètres plus bas des traces de sang, laissées sur les tranchantes lattes métalliques du pont suspendu.

 

48ème jour (17ème jour de trek)

Phakding - Lukla

 

En finir.

 

Je quittai avec "plaisir" notre très moyen lodge de la nuit (le premier me faisant si mauvaise impression depuis le début de mon périple): il est temps d'en finir ! Les nuages désormais bien installés sur toute la région nous dispensent d'une marche sous une chaleur trop accablante. Contrepartie: mon ultime jour de trek à travers l'Himalaya sera aussi le premier sous la pluie, qui se joint par intermittence à nous. En dépit d'un dos définitivement meurtri, je rallie Lukla sans problème, après une dernière remontée ayant laissé Andrew quelques centaines de mètres derrière.

 

Epilogue 

 

 

Cette partie ne figure pas sur mon carnet de route. L'écriture s'est figée dans les longues et embrumées journées d'attente à Lukla, passées à espérer un vol vers Kathmandou.

Me retrouver bloqué par le mauvais temps, dans l'incertitude d'un dernier obstacle indépendant de ma volonté fût la plus dure épreuve de ce voyage. La porte des cieux devint prison à ciel ouvert, dont je peinai à me sortir. Je ne souhaitais qu'une chose : rentrer chez moi.

Un matin, à 5h, j'allai négocier un billet de dernière minute sur un coucou de Nepal Airlines, obtenu grâce aux bonnes relations du patron du gite. Sésame en poche, le temps clément me permit de rejoindre la vallée, fin véritable de mon périple.

Les jours suivants furent anecdotiques. Je m'étais donné une marge, au cas où.

Je visitai quelques incontournables de la vallée de Kathmandou (Swayambunath, Boddhanath, Durbar Square) en prenant le temps, à chaque fois, d'en apprécier chaque détail. Un élément me marqua : les singes de Swayambunath sont d'une ressemblance troublante avec l'être humain, tant par leurs traits que par leurs comportements. De telles similitudes sont fascinantes à observer (voir par ailleurs). Nous, en légèrement différent. Rien de plus.

Une fin de voyage en solitaire est une somme de sentiments complexe à décrire.

En tant qu'individu, unique et égocentré, découvrir le monde affranchi des contraintes collectives est le plus formidable accomplissement que je puisse trouver. En tant qu'être social et sociable, je sais que de telles périodes de vie ne peuvent constituer le tout d'une existence.

Le plus grand apport de ces deux mois est clair. J'étais parti avec des convictions quant à mon besoin d'efforts en contrées lointaines. Je dois ce trait de caractère à mes parents, que je me devais de mentionner dans ce récit.

Je reviens avec la certitude que chaque personne a « quelque chose » qui le transporte vers des émotions dépassant tout contrôle. Eclater en larmes à la simple vision du camp de base de l'Annapurna et de la cime de l'Everest m'indique une chose, évidente : je suis « fait » pour cela. Peut-être pas mon corps ou mes compétences, qui sont faillibles, mais mon esprit oui, assurément. Et je suis avant tout heureux d'en être conscient si tôt dans ma vie.

 

 

Saint Graal

Certains me firent la remarque : « Tu parles peu des gens Â». C'est vrai. Il serait hypocrite de grossir l'aspect social, voire humanitaire de la chose. Mon truc, c'est les montagnes. Voir comment on y vit, jusqu'où on peut aller, quelles limites on peut atteindre, tout cela via mon expérience personnelle. Le nombre et la beauté des rencontres faites grâce aux personnes que je cotoie et avec qui j'échange au quotidien, les constats que je dresse quant à la « chance Â» de vivre dans nos conditions occidentales... tout cela me met mal à l'aise à l'idée de l'exprimer dans ces pages. De mon point de vue, ce serait exploiter un côté confinant parfois au larmoyant, aux antipodes de l'état d'esprit que dégagent les « autochtones Â» qui VIVENT, et ne basculent pas dans le ressentiment.

Ces deux mondes, le « nôtre Â», et le « leur Â», sont incontestablement distincts en l'état. Avancer l'inverse serait à la fois malhonnête et irresponsable.

L'aspiration au progrès de ces pays doit être soutenue par des initiatives bien trop nobles pour que je ne feigne un quelconque engagement dédié en ce sens, dans le cadre de ce type de voyage.

 

Je ne souhaitais surtout pas déguiser mes volontés d'exploration géographique en projet "social". Si je le fais (et je le ferai), ce sera en me consacrant exclusivement à la cause défendue, une fois que j'aurai une connaissance plus détaillée de ces pays.

Quelques mots sur les photographies.

Au fil des pages qui je l'espère auront été agréables à parcourir, certains ont pu remarquer que les photos de personnes ne sont pas légion.

Sur les 2154 clichés pris (compte exact), une dizaine représente des visages. Comme j'ai pu le mentionner auparavant, mon voyage visait avant tout la découverte géographique. Les grandeurs du monde sont bien suffisantes pour combler mon émerveillement.

Les traits humains comportent une indéniable beauté dont il serait tentant d'abuser.

Je ne peux cacher mon malaise à la vue de ces hordes de trekkeurs télé-objectifs en bandoulière dont l'unique préoccupation était de capturer en hyper-gros plan la moindre frimousse de bambin passant dans leur champ de vision. J'ai cette conviction pour certains idéaliste, voire malhonnête, que la démarche d'un portrait implique un minimum à respecter. On ne capture pas l'Homme comme on part en safari.

Chaque portrait ou personne représentée à l'image dans ce carnet de route est le fruit d'un échange. Souvent bref, parfois plus long, à l'intensité variable, mais au cours duquel j'essayai (passé simple) de m'assurer de la « décence » de mon cliché. Cette démarche, faillible et aux très nombreuses limites, fut au moins un fil conducteur tout au long de ce périple.

Cet épilogue s'achèvera sur une branche. Après avoir cassé un de mes deux bâtons sur les pentes du Sanctuaire des Annapurnas, j'avais trouvé un robuste bout de bois, qui soutint mes pas de l'Annapurna au Camp de base de l'Everest, jusqu'à ma dernière heure en Inde. En montagne, le bâton de marche est un prolongement de soi. Sans lui, les efforts sont plus durs, les appuis plus précaires, les perspectives plus incertaines. Il était mon porteur, mon fidèle compagnon de route. Parler ainsi d'un objet si insignifiant peut sembler grotesque, mais dans des moments si éprouvants, où l'on ne peut compter que sur ses propres capacités physiques et mentales, tout soutien devient un ami proche. Un peu comme Wilson, le ballon de volley meilleur pote d'un Tom Hanks perdu sur son île déserte.

Je pus ramener « L'éclair » (c'est son nom, en grande partie dû à sa forme) de Lukla à Katmandou , puis de Katmandou à Delhi, avec la ferme intention de l'emporter avec moi jusqu'en France.

Au moment de déposer mon sac en soute, l'agent du service bagages me lança un inconcevable « Stick : to the trash ». J'argumentai que la catégorie « hors-gabarit » était faite pour cela, et qu'il était impensable pour moi d'abandonner ce bâton, MON bâton, ici. En vain. Dix minutes de négociation plus tard, je dus me faire à l'idée que la trace de l'éclair s'arrêterait ici, posé sur une poubelle, avant de finir probablement sa course dans une des décharges à ciel ouvert d'une des villes les plus polluées au monde. Tout ce chemin pour ça.

« Quelle triste fin pour un si beau parcours » : telle fût ma pensée en ce moment, embrumée par le déchirement d'une séparation au petit matin ainsi que par la fatigue d'une nuit sans sommeil. Je pleurai la perte d'un être cher.

A tête reposée, la réalité est bien plus claire : j'avais juste fait voir du pays à un pote. Et que ce pays était beau.

CHAPITRE 2 - FREMIR
Automne 2017

Trek du Cho La Pass et Vallée de Gokyo

Parc du Sagarmatha

 

Lukla -  Cho La Pass - Lukla

 

14 jours - Dénivelé positif: 4590 mètres

Les stats à la con:

Distance parcourue: 98 kilomètres

Poids du sac au départ: 17 kilos 400 grammes

Stock de snacks:  5 Mars, 8 Kit-Kat Chunky, 10 barres de céréales.

Point le plus bas: Phakding (2600m).

Point le plus haut: Cho La Pass (5400m)

Blessures: Ampoules basse consommation.

Yaks croisés : 723 183 929

5 jours et un faux départ. C'est ce que qu'il m'a fallu pour grifonner les premières lignes de ce carnet de route. Kathmandou la poussiéreuse m'a accueilli le 24 octobre, après un voyage relativement tranquille. J'ai pu quand même goûter aux charmes de la bureaucratie chinoise lors de mon escale à Chengdu, la capitale du Sichuan. Malgré les indications contraires à Paris, j'ai dû deviner qu'il fallait récupérer mon sac sur le tapis des bagages après avoir passé les services chinois d'immigration. Je me suis aventuré à quelques « Ni-ha » adressés aux douaniers en uniforme, sans succès. Ils étaient plus occupés à décrypter la photo de mon passeport d'un œil suspect. Une fois mon sac récupéré (délesté de mon duvet, perdu en chemin:-( ), le 2ème check-in m'a valu de vider mon sac (au sens propre) devant le monsieur rayons-x, la faute aux piles de ma lampe frontale. Ces contretemps, plus folkloriques qu'autre chose, m'ont au moins amené au détour d'une vanne sur la convivialité toute relative des services frontaliers chinois, à faire connaissance avec Erwan, un breton de mon âge qui découvre le Népal.

 

Dans l'Airbus d'Air China qui nous mène de Chengdu à Katmandou, une question demeure sur les lèvres de tous les occidentaux en quête de montagne : quel côté de l'avion aura le privilège de contempler l'Everest depuis le hublot ? À me fier à mes estimations basées sur une brochure d'Air China, mon siège 14L posté au dessus de l'aile droite est un bon spot d'observation. En fin de vol, ça se confirme. La plateau tibétain, lézardé par les immenses autoroutes commandées par les autorités chinoises, laisse place aux grands pics enneigés de l'Himalaya. Au milieu perce la cime de l'Everest, entourée de sommets bien familiers. Je cache pas que c'est avec fierté que je jouai les guides touristiques à mon voisin breton, indiquant le chemin du trek du camp de base en pointant les cimes du Lhotse ou du Pumori, ma montagne préférée du coin. L'arrivée à Katmandou s'est faite en douceur, à une surprise près : au moment d'arriver à mon hotel Potala, où j'avais séjourné il y a 3 ans, je tombe sur un bâtiment qui m'est totalement étranger. « I don't recognize the place. Has it changed ? », demande-je à l'accueil qui me répond d'un demi-oui à la népalaise. Toujours intrigué, je tombe le lendemain sur le « vrai » hotel Potala où je m'empresse d'emménager. Les jours qui suivent m'orientent vers une décision : je ne ferai qu'un seul trek, celui de la vallée de Gokyo que je m'étais promis de découvrir depuis la dernière fois, où j'avais dû renoncer faute à un dos meurtri par les deux mois du voyage.

 

La "réputée" piste de Lukla,

"l'aéroport le plus dangereux du monde" (sic)

Faut pas se rater

"Bordel, quand on rentre sur la piste."

Booba

1er jour

Lukla (2800m) - Phakding (2600m)

 

"Long time no see"

 

Ce titre fut la phrase que m'a répondue le patron du « Kalapatthar Lodge », quand je lui dis part avec joie que j'avais retrouvé le chemin de son établissement trois ans après. Cette journée, de Katmandou à Phakding, m'a donné l'agréable impression d'un retour à la maison, dans des contrées familières que je n'avais pourtant jusque là qu'arpentées qu'une seule fois. Tout était à sa place aujourd'hui, à commencer par le franc et beau ciel bleu et sans nuages, lavé de ses impuretés par l'orage de la veille. Chose rare, je peux contempler depuis le taxi qui m'emmenait à l'aéroport les cimes enneigées au loin, d'habitude dissimulées derrière l'épais nuage de pollution qui enveloppe la ville. Dans le brouhaha de la salle d'attente où s'entassent tous les passagers à destination des 4 coins du pays (et où j'avais passé 7 heures infructueuses deux jours auparavant, je retrouvai les deux Suédois, compagnons de mésaventure lors de notre vol annulé. Ils ont renoncé à leur plan audacieux de s'engager dans le trek de Jiri, le casse-pattes de 5 jours que devaient affronter les « anciens » du temps où Hillary n'avait pas encore eu l'idée de foutre une piste d'atterrissage au milieu d'une falaise à Lukla. Notre coucou de Sita se pose après un vol sans encombres. Premier constat : il fait beaucoup plus frais. Il reste même de la neige dans quelques recoins du tarmac. J'avais souffert de la chaleur lors des preimiers jours, mais c'était fin avril. Là, on est presque en novembre et l'hiver pointe tranquillement le bout de son nez.

​

Deuxième constat : quelques petites choses ont changé sur le plan « administratif ». Disparue la célèbre « TIMS », carte officielle du trekkeur qu'il fallait acheter au départ du périple. Il n'y a plus qu'un simple permis d'entrée (2000 roupies) à payer à l'entrée. Je traverse Lukla à la mi-journée, sous un soleil radieux dont se délectent les gros chiens touffus du village, étalés de tout leurs longs sur les pierres de la grande rue, chauffées à blanc par le soleil de midi. Tout est très calme à cette heure. Des écoliers en uniforme reviennent à la maison pour manger tandis que des villageoises étendent le linge : le maigre contingent de trekkeurs passe quant à lui rapidement les deux check-points, avant de s'engager dans la grande descente qui marque le début du parcours. J'ai rapidement lâché mes deux compagnons scandinaves. Ils profitent de chaque pas et découvrent les lieux à leur rythme : ils ont bien raison. Quant à moi, je me sens comme une bête enfin libérée de sa cage, qui gambade joyeusement à l'air libre et pur. Je ne veux pas trop traîner non plus. Il est déjà tard dans une journée typique de trek, et les gros nuages accrochés aux montagnes lâchent quelques gouttes d'avertissement à mi-parcours. Je finis cette mise en jambes vers 14h et retrouve sans mal le lodge où j'avais déjà posé mon sac 3 ans plus tôt. La patronne, toujours blagueuse, n'a pas changé.

2ème jour

​

Phakding - Namche (600D+)

 

Comme une mule

 

Plus d'une semaine au Népal et j'ai toujours pas encaissé le décalage horaire, pourtant modeste vue la distance (3h45). Je me suis ainsi retrouvé à tourner une fois de plus dans mon lit, après une « sieste » entre 21h et 23h30. Le froid du début de nuit (amplifié par l'humidité du torrent tout proche) ne dure pas, j'ôte vite les multiples couches dont je m'étais paré, en plus du gros duvet -10°C loué à Kathmandou. Quelques heures de lecture, un léger somme et une omelette au fromage plus tard, je me mets tranquillement en route pour Namche, sur un chemin que je reconnais toujours aussi bien. La froideur matinale ne dure pas, mais la température reste tout à fait convenable. Il fait frais, les gros groupes (beaucoup de Russes) sont vite dépassés et je retrouve les jolis ponts suspendus, caractéristiques de l'entrée dans le parc du Sagarmatha. À Monjo, je m'acquitte d'un nouveau droit d'entrée (3390R) avant de prendre sans le savoir le chemin des mûles peu avant le grand pont suspendu. Je me rends vite compte de mon erreur, mais les jambes tournent bien et il n'y a pas un chat sur le tronçon, autant en profiter, quitte à s'enfiler une bonne centaine de mètres de dénivelé en plus. Je finis par retrouver le sentier principal à hauteur du « grand pont », toujours aussi majestueux. La montée finale vers Namche, qui n'a rien perdu de ses grosses pentes, passe mieux grâce aux porteurs dont je suis fidèlement le rythme. J'arrive finalement à Namche vers 12h30, après 4h30 d'effort, et retrouve l'Ama Dablam Lodge et son patron, qui n'a pas pris une ride en 3 ans. Je lui montre la photo de groupe où toute sa famille, moi, et Andrew (mon pote sud-africain de mon escapade dans le Khumbu) prenions la pose sur sa terrasse. La « petite » d'alors, qui avait 14-15 ans à l'époque, n'a pas bien changé non plus. Le cliché les fait bien rire en tout cas, et c'est l'essentiel. Quant à moi, j'hésite encore sur mon itinéraire vers le Cho la Pass. Soit je reprends le chemin classique via Tengboche puis Dingboche, soit je prends directement la direction de la vallée de Gokyo. J'ai encore plus de 24 heures pour réfléchir puisque demain, c'est journée d'acclimatation. J'irais sûrement faire un tour à Khumjung. D'ici là, je m'apprête à affronter le froid de ma chambre. Il fait déjà -5° ici, en début de soirée. Ça promet pour la suite.

3ème jour

Namche

 

Beau linge

 

Première nuit (presque) complète, enfin ! Tout va bien ici, devant le cinéma à ciel ouvert qu'est Namche Bazaar. Le massif du Kuongde, qui fait face à l'immense amphithéâtre sur lequel est bâti Namche, est un prélude sublime à ce qui attend les trekkeurs en route vers les hauteurs du Khumbu. Pour cette journée d'acclimatation, je décolle délesté de mon gros sac vers Khumjung, empruntant le chemin des porteurs, « droit dans la pente ». Les 3500 mètres ambiants se font ressentir : le cœur s'emballe vite, les jambes brûlent, bref, rien que du classique. Le mal de tête avec lequel je m'étais couché la veille a disparu. C'est rassurant, mais ça va pas m'inciter pour autant à forcer l'allure. Les drapeaux de prière flottant au vent m'indiquent que j'approche de Syamboche et de la colline qui la surplombe, offrant un premier panorama splendide sur toute la vallée menant aux contreforts de l'Ama Dablam, Lhotse et Everest, dont je peux contempler les cîmes dégagées. Un groupe d'Anglais me fait jouer (une nouvelle fois) les guides touristiques. Je leur apprends à repérer (et prononcer) l'Ama Dablam, Thamserku, et autres.. leur dispensant au passage quelques indices sur la journée de demain et l'éprouvante montée vers Thengboche, dont j'aperçois le monastère dans le lointain.

​

De retour à Namché, je tape la causette avec Tim, un Anglais qui revient d'expédition infructueuse sur l'Ama Dablam. Au fil de la conversation, je m'aperçois que son pote à côté est une « pointure » qui a déjà vaincu l'Everest deux fois, alors que le Népalais à ma droite est le frère du sherpa le plus renommé du pays, avec à son actif les 14 8000 mètres de la planète. Le monte est petit à Namche. En saison, les plus grands noms de l'alpinisme s'y cotoient tranquillement. Pour le modeste apprenti solitaire que je suis, leurs conversations sont un délice. La discussion dérive sur le livre que je dévore : « The Beckoning Silence », un récit d'aventures en haute altitude, par Joe Simpson, auteur de « Touching the Void » (La Mort Suspendue). « Joe ? Aahh... C'est un trompe-la-mort » me lance t-on comme si l'on parlait du collègue d'à côté, avant de m'expliquer qu'un bon ami à eux a réalisé le film, où Tom Cruise jouait le personnage principal. Je traine avec du beau monde sans le savoir, c'est plutôt marrant. J'ai également profité du beau et chaud soleil de la mi-journée pour prendre une douche chaude complète, ma dernière avant... bref, je ne finirai pas ma phrase pour d'évidentes raisons de décence hygiénique. J'ai également lavé un tricot. Rien de fou, mais dans une journée de repos, c'est le but. J'ai réfléchi à mon parcours : je suivrai le tracé « classique » nord est via Dingboche. C'est plaisant de retrouver des gens qui suivent le même trajet que toi. D'autant plus quand on voyage seul.

4ème jour

​

Namche (3400) - Debuche (3850)

 

Chargé

 

La fin d'après-midi à Namche fut bien plus captivante qu'attendu. Avant le diner, Tim s'est joint à moi, rapidement accompagné de Peter Morley. Connaissant le pedigree du bonhomme que j'ai en face de moi, je le lance timidement sur l'Everest et la haute-montagne. Dès lors, je ne lâche presque plus un mot. Il me raconte en face à face entre deux gorgées de thé son expédition de 2006, la longue route jusqu'au toit du monde mais aussi et surtout ses impressions plus que contrastées quant à la croissance du tourisme de très haute haute montagne. « You know, Base Camp 2 i literally a toilet right now », me décrit-il à propos de l'escale obligatoire en chemin vers l'Everest, et de l'affluence qui explose chaque année un peu plus. Sa voix se fait encore plus sombre au moment où il me décrit « l'immense désastre » sur le point de survenir sur les pentes de l'Everest. « There were almost 200 people between the South Col and the summit », me raconte t-il. En clair : 200 personnes à la queue-leu-leu à plus de 8000 mètres d'altitude, bien au dessus de la « zone de mort ». « I'm telling you, soon, something bad will happen and il will be a complete disaster », « bien plus grand que celui de 1996 » (année de l'expédition mortelle qui avait coûté la vie à 8 alpinistes, accident notamment raconté dans le best-seller de Jon Krakauer « Into Thin Air » (qu'on trouve absolument PARTOUT dans chaque boutique de Katmandou, ou plus récemment dans le film « Everest »).

« Il n'y a plus rien de normal sur l'Everest. C'est un non-sens » poursuit-il, évoquant le cas d'une proposant une offre « unlimited », c'est à dire dans nombre limité de clients, pour gravir l'Everest, moyennant la modique somme de 90.000$. Un si grand nombre de personne sur la même ligne, à de telles altitudes, a de quoi interpeller. Lui en tout cas a décidé. « I won't do it again. I don't want to summit Everest with 200 persons around me », me lâche t-il. Il me décrit également l'état « atroce » de l'équipement sur les voies de l'Ama Dablam, dont il revient juste. Loin d'être « cyniques » ou « pisse-froid », ses paroles sont captivantes et essentielles pour bien comprendre l'économie du Khumbu. Les « agences occidentales » en prennent pour leur grade, comme les autorités népalaises et leur gestion... opaque des devises étrangères qui rentrent dans leurs caisses. « C'est pourtant leur atout » déplore t-il. Malgré le ton grace de ses paroles, la soirée est extrêmement instructive. Je la finis avec Tim (dont j'apprends est n°3 d'une grande entreprise de batiment britannique) qui finit son « chocolate porridge » pendant que je digère mon copieux dîner. Le lodge est archi-plein ce soir, la bonne ambiance est seulement perturbée par l'intervention agressive d'un touriste débarquant de nulle part, et s'emparant d'une chaise pour sécher ses affaires près du poële à bois, malgré les interdictions placardées sous ses yeux. Le patron règle vite l'affaire, malgré le caractère hautement antipathique du bonhomme. Le lendemain, je me lève plus tard que la foule avant de prendre la route de Tengboche. Le sentier en balcon, qui fait face à l'Ama Dablam n'a rien perdu de sa superbe. J'ai entendu que Tengboche était « full packed » aujourd'hui. Je force donc le pas dans l'épuisante montée finale, dont le vois le bout vers 13h. À Tengboche, mes craintes sont confirmées : tout est complet. Je m'accorde une pause de 10 minutes avec les 2 québécois de Namche, lâchant quelques vannes avant de repartir vers les villages en contrebas. Après une raide descente dans la forêt de rhododendrons suivant Tengboche, je trouve refuge dans un lodge de Debuche. Ca fera toujours ça à marcher en moins. L'après-midi est longue. Le lodge, niché en fond de vallée près de la rivière, n'est pas spécialement accueillant. Heureusement, je trouve des compagnons de galère avec 2 Belges (père et fils) et un Anglais ayant passé 25 ans en France. Le plus âgé des Belges semble préoccupé par son état, se disant affecté par l'altitude. Il laissera d'ailleurs son assiette quasi-pleine, ce qui n'est jamais bon signe. Quant à moi, j'engloutis mon plat sans broncher mais un mal de crane persistant me suit. On est presque à 4000 mètres mine de rien. Ca vaut bien 2 Doliprane avant de dormir.

5ème jour

Debuche - Dingboche (4410) 

 

La porte d'entrée

 

Très bonne nuit de sommeil à Debuche. L'attitude y est pour quelque chose : je n'ai pas arrêté de rêver. J'ai même eu l'impression bizarre d'être conscient dans un rêve, sans pouvoir en sortir. D'habitude, dès que tu prends conscience que t'es en train de rêver, tu réveilles. Pas là. Je laisse aux spécialistes d'Inception le soin d'élaborer leurs théories. Le lendemain matin, je décolle dans la fraîcheur matinale de Debuche après un Tibetan Bread au miel. Je dépasse vite les nombreux groupes avant le pont qui nous fait passer sur la rive gauche de l'Imja Khola, sous un soleil brûlant (au sens propre). J'ai pensé à protéger mon nez (l'habituel victime/souffre douleur) des UV, mais là, c'est ma nuque qui a pris, et je la sens bien ce soir. Cette journée est celle du passage de la moyenne à la haute-montagne. Passé Sahore et la limite des 4000 mètres, les arbres disparaissent subitement et laissent place à une steppe rocailleuse battue par le vent qui remonte la vallée. Plusieurs sherpas luttent pour tenir debout à cause de leurs paquetages irréels, qui dépassent souvent les 2 mètres de large pour 3 mètres de hauteur. Mon sac me suffit largement, et je parviens à le hisser péniblement dans la raide (mais brève) montée vers Dingboche. Sur le flanc droit de la vallée, au pied de l'Ama Dablam qui me surplombe désormais, une immense langue de pierre blanche découpe la montagne en deux. J'apprends d'un sherpa en pause en même temps que moi que le grand éboulement date du tremblement de terre d'il y a deux ans, qui a littéralement avalé un pan entier de la montagne. Arrivé à Dingboche, je trouve refuge au « Himalayan Culture Lodge », tenu par un adorable gars bien plus jeune que moi, qui virevolte entre la cuisine, les chambres et sa fille de 8 mois qui déambule joyeusement dans son trotteur au milieu de la salle à manger. Après une petite, je m'équipe de mon attirail de haute-montagne pour la première fois, direction les pentes du Nangkar Tsang, qui surplombe Dingboche. Les flocons qui me fouettent le visage me font me sentir dans la « vraie » montagne, changeante et capricieuse. Des épais nuages qui haute-vallée transperce par éclairs cime de Cholatse, illuminée par le soleil du crépuscule. Je me délecte de ces moments seul dans le froid himalayien, face aux géants que je commence à connaître. La soirée est agréable. Autour du poële, un groupe brésilo-austro-polono-français se forme, et on ne voit pas l'heure passer. Je prends également des nouvelles du Cho La Pass, que j'ambitionne de franchir lundi, dans 3 jours. Les locaux finissent de me rassurer sur le parcours. Juste une partie « délicate » de glacier à gérer, rien de plus. Je finis ces lignes alors que je suis le dernier touriste à peupler la salle à manger. La mère de la petite fille s'est installée à côté pour lui donner son dîner à la petite cuillère, tandis que les deux guides s'envoient leurs copieux dhal-baats sur la table à côté. A le vivre tous les soirs, c'est sans doute le moment de la journée que je préfère, lorsque le tumulte rend sa place à la normalité et qu'on réalise subitement qu'ici aussi, les gens vivent, dans une réconfortante banalité.

 

 

Glissement de terrain - Dingboche

6ème jour

Dingboche (4410) Dingboche-Nangkar Tshang – Dingboche

 

​

Je l'avais presque oublié celui-là, l'air froid et archi-sec de Dingboche met une nouvelle fois ma gorge à l'épreuve . L'impression d'avoir une angine qui te brûle les amygdales n'est pas le meilleur côté du trek mais il faut faire avec. Je ne dors presque pas de la nuit, la faute à cet air glacial et dépourvu de toute humidité. C'est pas très grave, le reste de l'organisme, en particulier le système digestif, et c'est bien l'essentiel. La lumière du jour finit de me sortir de mon sommeil précaire. Inutile de regarder à travers la vitre : une épaisse couche de givre bloque ma vision vers le Nangkar Tshang, que je vois de nouveau affronter. Cet impitoyable mur de terre fouetté par la bise est un « incontournable » des trekkeurs en quête d'acclimatation. La montée, taillée droit dans la pente, ne laisse aucun répit, et rares sont ceux qui se hissent à son sommet, perché à plus de 5600 mètres. En chemin, je recroise l'éternel duo de québécois, ainsi que le groupe d'Anglais rencontré sur les hauteurs de Khumjung, qui s'ambiance sur du Electric Light Orchestra pour mieux faire passer l'effort.

 

La tâche du jour est ingrate : pas de récompense, pas d'objectif précis à atteindre, juste se hisser assez haut pour mettre son corps à l'épreuve de l'altitude, au seuil de la « zone rouge ». Le vent glace le corps tandis que le soleil se charge de griller les centimètres carré de peau non protégés. Les nuages de poussière soulevés par les bourrasques s'engouffrent partout, même sous mes lunettes pourtant bien plaquées contre mes yeux. Entre deux volutes, je distingue au loin l'impressionnante silhouette du Makalu (4ème plus haut sommet du monde), bientôt engloutie sous les épais nuages de la fin de matinée. Je retourne au lodge vers 12h30, après une descente raide et éprouvante dans la poussière, où les appuis sont précaires. L'après-midi passe tranquillement, avant que je ne retrouve mon « groupe du soir », avec lequel on se marre bien. Dolma, la petite fille de 8 mois « mascotte » du lodge, est malade aujourd'hui. Alors que nous finissions notre thermos d'eau chaude, un guérisseur est venu s'occuper d'elle. Sur les braises sorties du poële à bois, il dépose des herbes et plantes dont il fait respirer les volutes à la petite, qui n'apprécie pas vraiment. La séance est conclue par une récitation de manis, prières népalaises écrites sur un manuel enveloppé dans un drapeau. Les deux guides d'hier viennent d'arriver pour le repas. Pour eux aussi, c'est l'heure.

 

Népal - Dingboche

Dimanche 5 novembre - 7ème jour 

 

Dingboche – Dzongla (6h30, +500, 4900m)

 

Dans le dur

 

Ouaou, putain, ça fait mal. Je m'étais préparé à l'arrivée la plus élevée de mon parcours, mais c'est quelque chose. Me voilà à Dzongla, au pied du tant convoité Cho La Pass, que j'ambitionne de franchir demain. La marche du jour, commencée de très bonne heure à Dingboche, fut éprouvante. La première partie, que je connaissais déjà, est passée sans problème. Remonter la vallée plongée dans le plus parfait des silences, seulement brisé par les cloches des yaks, est une sensation enivrante. J'arrive à Thokla sur les coups de 10h, avec la ferme intention de plier l'affaire pour midi. Peché d'orgueil : j'entre dans des terres « inconnues », qui me réservent bien des surprises. Le sentier pour Dzongla coupe à travers la montagne, par un chemin instable et très pentu, qui demande la plus grande concentration sous peine de dévaler le ravin. Le lac glaciaire au pied du Cho La Tse se révèle au bout d'une demi-heure, splendide et austère à la fois. Le vent glacial qui remonte la vallée me saisit, et il faut écourter ses pauses sous peine de se transformer en frigo. L'étroite bande de terre à flanc de montagne part souvent en dévers, traversant des pierriers piégeux, qui plongent dans le bleu gris du lac. Personne à des kilomètres à la ronde, il faut se montrer prudent. Au bout de 5 heures de marche, j'aperçois les toitures de Dzongla, au fond de la haute vallée. Le reste est un calvaire.

​

L'altitude me plombe sur place. Pour la première fois, mon sac paraît me peser des tonnes. Le « soulagement » relatif d'une pause est vite remplacé par le supplice de la remise en marche. Mes jambes brulent comme jamais, tandis que ma tête résonne comme un tambour à chaque pas un peu brusque. La barre des 4800 mètres est terrible, et je mets plus d'une heure à parcourir le dernier kilomètre, trainant ma peine au milieu de la neige, qui désormais ne fond plus. Je m'échoue dans le premier lodge, où je trouve un lit. Je passe près d'un quart d'heure immobile, mes mains glacées sur les tempes, tachant tant bien que mal d'encaisser l'effort produit. Je ne m'attendais pas à une telle claque. La chaleur de la salle à manger (chauffée dès le midi au poële) me remet d'aplomb. Pas question de regarder à la dépense ici, je m'envoie deux Lemon Tea au miel et un hashbrown que je tombe avec appétit. Encore une fois, c'est l'essentiel.

 

 

Vers Dzongla - Cho La Tse

Lundi 6 novembre - 8ème jour

Dzongla – Dragnag via Cho La Pass (ALT. Max 5400m)

 

Là-haut.

 

Voyager seul, c'est aussi la possibilité de se retrouver avec une équipe internationale de 10 personnes, formée en un quart d'heure autour d'un Lemon Tea. J'ai passé la fin d'après-midi à discuter avec Julia, représentante du Washington State d'une trentaine d'années, et bien branchée montagne (comme tout le monde ici). J'appris au détour d'une conversation sur le ski qu'elle était amie avec l'une de mes idoles de ski freeride, Drew Tabke. Je lui racontai alors plein d'entrain l'épisode de la finale du Freeride World Tour 2014 (ou 2015) où moi et mes potes montagnards avaient jubilé à distance en assistant à un énorme tout droit dudit Tabke dans les pentes vertigineuses du Bec des Rosses, en Suisse. Je n'ai pas échappé à l'explication méthodique du « Dréééééé », particulièrement en vogue chez certains de mes amis skieurs, surtout haut-alpins. (Mise à jour : le skieur en question n'était finalement pas Drew Tabke, merci Loïc).

 

Avant le diner nous ont alors rejoint un bon groupe d'amis à Julia. Lindsay, américaine elle aussi, et trois Canadiens : Jordan, Joe et Curtis, de Vancouver. Se joignent ensuite autour d'une très grosse partie de cartes, Lio et Idam, israëliens, et Katherine, néo-zélandaise qui voyage (aussi) en solo, mais avec porteur.

La soirée se termine dans une succession de « Mafia », version internationale du loup-garou, entrecoupée de bons moments de rigolade qui nous font presque oublier l'altitude. Juste avant d'aller au lit, Lindsay nous exhorte à sortir dans la nuit glaciale. Elle a bien raison : la (presque) pleine lune, à un jour près, illumine la face titanesque du Arakam Tse, qui surplombe Dzongla. La vision est quasi-irréelle. Dans la nuit sans nuages du Khumbu, la montagne frappe par son gigantisme, me donnant l'impression d'être plongé dans un immense négatif photo. Inutile d'essayer de prendre quelconque photo avec mon modeste matériel. Je me contente juste de savourer le spectacle en silence, avant une courte nuit de sommeil qui nous fait décoller à 6h du matin.

 

J'anticipe un peu le départ, accompagné de Julia, Katherine et son guide, avec qui je tape la causette avant que la pente ne s'élève trop. Je marmonne quelques passages d'opéra pour me motiver, notes vite repérées par le porteur, qui m'incite à continuer. Après une partie partie relativement tranquille, le chemin se cabre subitement dans un mur de rochers, dont certains passages relèvent de la vraie escalade. Grisé par cette section plus « technique », j'oublie les 16 kilos amassées sur mon dos et dévore cette montée qui mène au glacier. Katherine sort alors ses mini-crampons, sur recommandation du porteur, qui lui demande presser le pas en raison des chutes de pierres. La portion « technique », parfois dangereuse, consiste en 400 mètres de roche et glace vive mêlées en dévers, avec un apic d'une vingtaine de mètres sur le glacier criblé de crevasses. Les sherpas en basket chargés comme des mules et nous nous donnons des coups de main mutuels pour franchir les points délicats, avant d'entrer dans la fournaise du glacier chauffé à blanc. Dans les 20 derniers mètres, j'emprunte un passage bien engagé et vertical... J'aurais pu finir ce satané « Cho La Pass » par la voie classique, mais l'envie d'en profiter au maximum , dans des vraies conditions de haute-montagne (c'est à dire dans la neige et les parois glacées) était trop forte. Le pied posé sur le caillou le plus élevé du « Cho La », je pousse un grand cri de satisfaction avant de remercier le porteur, qui nous a guidé dans la montée. Je sors ensuite de sa cage Roger, mon célèbre perroquet gonflable qui m'avait accompagné sur les routes du Tour de France et pendant les festivals de l'été. Lio et Idam sortent quant à eux leur girafe et leur pingouin en peluche.L'animalerie improvisée fait bien marrer l'assistance, nous en premier.

 

L'euphorie nous fait oublier les 5300 mètres ambiants, mais nous sommes vite rappelés à l'ordre par la gueule de la descente, vertigineuse sur sa première partie. Je suis revenu au Népal pour CE Cho La Pass. Il s'agit maintenant de le valider comme il faut. La glace, recouverte par endroits par la couche de neige fraiche tombée dans la nuit, est un vrai piège qui nous guette à chaque pas. Il s'agit de la portion la plus délicate du parcours, où certains guides conseillent l'utilisation de crampons. Les nombreux trekkeurs dans mon cas (sans crampons) doivent concentrer toute leur attention sur cette ceintaine de pas délicats qui nous conduisent vers une longue portion de moraine, moins glacée mais tout aussi pénible. Je reprends mon récital sur du Verdi et du Bizet, ce qui a le don d'enthousiasmer le groupe, qui me gratifie du surnom de « Singing Frenchie ». L'énergie commence toutefois à manquer, je le sens. L'imposant paquetage que je me suis imposé tout seul me fait souffrir. Lio et Idam tentent de m'apporter un peu d'aide lorsqu'ils me dépassent, dans une montée que je grimpe à l'agonie, presque à l'arrêt, dans le vent glacial qui remonte la vallée. Un grand drapeau de prières claquant dans le vent marque la fin de la dernière colline, avant la descente finale vers Dragnag. L'occasion de changer de registre pour Lindsay et moi, qui improvisons à base de trompette jazz et Louis Armstrong. Je touche au but vers 14h30, après 8 heures d'effort, tandis que certains, plus vaillants, prennent le chemin de Gokyo, à 2 heures d'ici, après un gros déjeuner. Lio, Idam et Katherine choisissent également de poser le camp ici. L'endroit est magnifique. Le lodge borde le ruisseau de montagne qui cort paisiblement le long de l'entrée. Je profite du beau soleil de ce milieu d'après-midi pour aller me laver les pieds dans l'eau à 4 degrés. Un luxe, un vrai. Notre tablée de 4 passe ensuite la soirée à jouer à un jeu de cartes captivant, appris par Lio, dont certaines règles se rapprochent de notre bonne vieille belote contrée. Journée réussie de A à Z. Merci la montagne, merci les rencontres.

 

 

Cho La Pass

Mardi 7 novembre - 9ème jour

 

Dragnag

 

Ça « devait » arriver à un moment, mais là, le timing est dur. Épuisé de mon Cho La Passe et toujours bien affecté par l'altitude, (gorge douloureuse, maux de tête permanents), je suis réveillé vers minuit par le spectre le plus terrible du voyageur : les crampes d'estomac. Pas besoin de détailler les heures qui suivent, qui me laissent sans la moindre once d'énergie. Au petit matin, impossible de bouger, encore moins de sortir de mon sac pour une journée de marche vers Gokyo. Les batteries sont vides, je dois renoncer. Le reste de la journée n'est qu'anecdote. Mes 3 compagnons d'hier sont partis pour Gokyo, et je me résigne, vu mon état de faiblesse à passer une 2ème nuit à Dragnag. Exit l'ascension du « Gokyo Ri », que j'espérais pour le lendemain. Quand on est seul, on ne peut pas tricher avec sa santé, je le sais. J'avais tellement ce Cho La Pass en tête que mon organisme a cédé sitôt l'objectif atteint. Je sais que cette « rupture » est bien plus dûe à la « pizza » pas cuite que j'ai inconsciemment osé manger la veille, mais qui sait... Après l'euphorie partagée du sommet, je replonge subitement dans mes habitudes de trekkeur solitaire, mais fortement affaibli. Ma nuque est raide comme je mais, je ne descends pas le quart de mon assiette de riz blanc. Je concentre surtout ma convalescence sur la réhydratation, à coups de Black Tea et des sachets de poudre énergisante type Gatorade qu'on m'a laissés en cadeau d'au-revoir. Une bonne nouvelle au moins : je passe ma première vraie bonne nuit de sommeil, m'endormant sur « Animals ». Rien de grave. Pig man big man, haha, charade you are.

 

 

Vallée de Gokyo

Mercredi 8 novembre - 10ème jour

Dragnag (4700) - Dohle (4200)

​

Epreuve de force

 

​

Je me réveille presque reposé, mais ma nuque toujours transie me rappelle que la journée va être éprouvante. Je ne mange qu'un morceau de toast avec deux tasses de thé. Sur les coups de 9h, je me mets en route avec un objectif : descendre la vallée de Gokyo jusqu'à ce que mon corps m'ordonne d'arrêter. Malgré l'heure « tardive » de départ, le froid est accablant. Le sentier, désert, longe un torrent prisonnier de son épais drap de glace, malgré les assauts du soleil qui ne réchauffe rien ce matin. Je dois faire attention. Mon vrai dernier repas est déjà loin, et les conditions, température et altitude combinées, m'appellent à la plus grande concentration sur chaque pas. Je croise le premier signe de vie au bout d'une heure et demi : l'épais nuage de poussière dégagé par un yak blanc se roulant dans la terre, malgré la pente abrupte. L'équilibre chez eux, c'est quelque chose. Le mince entrefilet de terre qui traverse le flanc de la « colline » coupant la vallée de Gokyo en deux est périlleux par endroits, mais j'en vois le bout vers 11h30, lorsque j'aperçois, après le pont en rondins, le sentier principal sur lequel flottent les points rouges et jaunes des sacs portés par les sherpas. Déjà entamé par l'effort, j'atteins Macchermo vers midi, où je m'envoie un énième Black Tea, avant de demander la durée de marche jusqu'à « Dohle » au patron : « two hours and a half, easy », me répond-il dans un sourire. En temps normal, rien d'insurmontable. Dans mon état, c'est un coup de massue. Je me mets alors en tête d'atteindre le village suivant et d'aviser ensuite. L'arrivée à chaque village est synonyme d'une raide descente puis remontée, qui tranche avec le reste du parcours en balcon.

 

S'il est presque imperceptible à l'arrêt, le vent me congèle dès que je mets le nez sur les parties exposées. Peut-être dans un effort louable de méthode Coué, j'étais parti avec l'idée que j'aillais aimer les retrouvailles avec ce froid himalayien si sec et particulier. Aujourd'hui, il me transperce de part en part, ni le soleil ni les efforts en montée (d'habitude rapides vecteurs de chaleur) n'y changent quelque chose. La température oscille entre 0 et -5°C, rien de fou vue l'altitude, mais là, ça fait mal. Je retrouve un peu de confort au cours d'une brève discussion avec un conducteur de yaks, qui mène sa caravane vers Dohle. « Come to Dohle View Point, my sister owns the place ». La suggestion donne comme un élan de motivation crucial : j'ai un lit qui m'attend si je rejoins Dohle. De toute façon, je n'ai pas trop le choix. Lhabrema , le dernier village entre moi et Dohle, n'est littéralement qu'un champ de ruines, tandis qu'un dernier lodge marque la descente finale vers Dohle. Au prix d'une ultime « descente-montée » épuisante, je touche au but vers 14h. À peine le temps de dire à la patronne que « Your brother told me to come here », elle s'empressait de me montrer ma chambre. Une toilette plus tard, je m'échouai dans la dining-room, bientôt chauffée par le poële dopé aux bouses de yak. J'espère atteindre Namché demain, au terme d'une journée de « montagnes russes ». Le mur entre Phortse Tenga et Mong m'avait déjà marqué (au sens propre) il y a trois ans. Peu de chances que la sensation de demain ait bien changé.

 

Jeudi 9 novembre - 11ème jour

Dohle-Namché

 

Redescente

 

Les conversations de lodge partent souvent de la même question : après avoir croisé le regard du trekkeur déjà installé sur la banquette, ou qui vient de passer le pas de la porte, je laisse toujours un temps de latence. 5 secondes, 5 minutes... Je connais trop bien maintenant le besoin de récupérer en silence pour brusquer les échanges. « Way up or way down ? », voici la « porte d'entrée » traditionnelle des discussions dans le Khumbu (et ailleurs). C'est marrant parce que 30 secondes après avoir écrit ces lignes, un sympathique Ecossais me posait mot pour mot la même question. Bref. Ce fut la même chose hier, avec un couple hollandais, lui artiste peinte, elle ancienne infirmière, avec qui nous avons épilogué sur les courses sur canaux gelés aux Pays-Bas (dont la plus célèbre n'a plus eu lieu depuis 1997..) ou les techniques de peinture à l'huile. Je suis enfin pleinement dans le rythme pour de bonnes nuits de sommeil. Peut-être suis-je habitué au froid qui tombe sur les « chambres » sitôt le soleil tombé derrière les montagnes. Ce n'est visiblement pas encore le cas pour ce groupe de Français « on the way up », effrayés par la température des dortoirs à l'heure du dîner. Quelques heures après, je me lâchai tout un « Oh ça vaaaa » en entrant dans mon 5m2 de bois contreplaqué, surpris par la quasi « tiédeur » des lieux (bon faut pas déconner non plus, y avait quand même du givre sur les vitres). Ma nuit, royale, se passe au rythme des innombrables « altitude dreams » qui se bousculent dans mon cerveau. Du peu que je me rappelle, je me faisais virer d'un bar à cause d'un pogo trop appuyé avec de marquer en finale de Ligue des Champions jouée sur les dalles de la Place des Cardeurs d'Aix-en-Provence. PTDR.

 

Au matin, je prends de nouveau le temps de laisser partir toute le monde afin de profiter de mon petit-déjeuner, seul, dans la salle à manger baignée par le soleil. Le couple qui gère le lodge, et leur fils d'une douzaine d'années, fait de même, dans le calme. Un trekkeur solitaire jouit d'un statut légèrement particulier, entre distance au premier abord et sympathie grandissante au fil des heures. S'il n'y a plus que moi comme « étranger » dans le lodge, tout le monde retourne à ses occupations normales, comme si je faisais partie du décor. Cette sensation est très agréable, et c'est dans ces conditions que les conversations les plus spontanées surviennent. Vers 9h, je quitte l'esprit léger le « Dohle View Point », un peu trop puisque le « junior » du lodge dévale en claquettes la pente le séparant du sentier en contrebas pour me rendre mes bâtons, oubliés sur l'entrée. La séance de « montagnes russes » redoutée hier s'avère bien plus clémente que prévue. Le thème du jour était plutôt de gérer l'ouverture du coupe-vent. Passages en sous-bois, portions exposées puis abritées, soleil qui chauffe puis joue à cache-cache dans les nuages, descentes abruptes puis montées « murales » : il fallait bien gérer le moteur aujourd'hui, éviter la surchauffe sans qu'il ne prenne froid. Malgré mes efforts pour l'éviter, j'ai un bon mal de gorge ce soir. Pas grave. Après l'ascension vers Mong La, je retrouvai la splendide plongée (en balcon) vers le dernier « village » avant la grande procession vers Namche. À plusieurs reprises je m'arrête, pour regarder l'Ama Dablam, comme une vieille connaissance à qui je tourne désormais le dos. La « playlist » qui m'accompagne est celle de mon voyage en Patagonie, et dans ces dernières vraies heures de trek, je retrouve des sensations familières, celles qui t'envahissent quand le chemin touche à sa fin, et que les pires et meilleurs moments s'équilibrent pour ne laisser dans ton esprit qu'un prodigieux sentiment de liberté. Le fait d'avoir renoncé au Gokyo Ri ne m'affecte en rien. Je me réjouis presque de cet imprévu, venu renfocer l'inconnu de ces jours en montagne. Décider de tout sans n'avoir de comptes à rendre à quiconque, telle est la vraie liberté. Parfois lourde à assumer dans la vie de tous les jours, elle est ici un formidable carburant. Les dernières gouttes me mènent aux stupas qui balisent le chemin vers Namché. Je sonne le moulin à prières à l'entrée du village, croisant les écoliers en uniforme qui sortent de classe. Mon « Ama Dablam Lodge » n'a pas changé, et je retrouve « ma place » en milieu de banquette, bientôt rejoint par la grand-mère de la famille, qui reprend ses récitations de prières, le regard posé sur la montagne.

 

Epilogue

 

Le joueur de sarangi repasse une énième fois, inlassablement, dans la rue piétonne qui s'éveille à peine. Sur la terrasse en balcon, une femme en tablier dépoussière les tables basses en sifflotant, et replace les coussins sur les sièges en osier. Il faut voir Katmandou le matin. Quand les volutes d'encens flottent au pas des portes, couplés aux lueurs chancelantes des bougies de papier posées à même le sol. Cette nouvelle balade m'interpelle par sa quiétude. Ce n'est pas la réalité de la ville, je le sais, mais en ce lundi matin, tout paraît si tranquille et reposant. Même les motos ne klaxonnent plus. Les coups de marteau du ferronnier, qui s'affaire dans son atelier à remettre en état de vieilles pièces rouillés, ne résonnent même pas dans mes oreilles. Je fais un détour pour aller voir ce grand mur d'escalade, que gravit sans efforts une petite fille d'une douzaine d'années, sous l'oeil attentif de son père qui laisse filer la corde sous ses doigts. « Un des rares endroits de distraction ici quand on voyage avec ses quatre filles », me lâche t-il. « Avec la visite des temples ».

 

Il est vrai que la vie dans cet hypercentre, grouillant la nuit et si calme le jour, n'incite pas vraiment à la bougeotte. Il faut déambuler sur le toit fleuri de l'hôtel pour se rendre compte qu'à l'ouest, la colline de Syambu et le grand stupa qui trône à son sommet n'est pas si loin. Au nord, une cime blanche immaculée perce dans le lointain, rappelant que le Langtang se dresse à la sortie de la vie tandis qu'à quelques centaines de mètres, un curieux ballets de rapaces noirs tournoyant en cercle attire mon attention. A vrai dire, je dois admettre que ma soif de découverte en milieu « urbain » est bien moindre que la dernière fois, lorsque Katmandou m'était complètement inconnue. Un Allemand rencontré à Lukla m'a bien parlé d'un temple où on pratique les sacrifices d'animaux, mais cette perspective ne me chauffe pas plus que ça. Ces trois semaines furent bien plus « accompagnées » que je ne l'aurais pens. Pas une surprise non plus, tant le contact est facile en de telles circonstances. Là, Jay, un néo-zélandais qui vient d'arriver sur zone m'a donné rendez-vous pour des bières, à je ne sais pas quelle heure.

 

Le lendemain, je me rends à la Swoyambhunath, à une demi-heure de marche, histoire de redire bonjour à l'imposante et bruyante colonie de macaques qui peuple les environs du célèbre stupa. Le trajet jusqu'aux raides escaliers qui mènent au temple n'est pas compliqué. Tout en haut, je retrouve le joyeux chaos des hordes de singes courant et sautant de toute part, au risque d'effrayer les moins habitués. Je redescends par un escalier, bien moins fréquenté, où je retrouve le silence. Assis au pied d'un arbre, un jeune couple népalais profite du coucher de soleil sur Katmandou. Je les salue et poursuis mon chemin.

CHAPITRE 3 - FAUCHÉ
Printemps 2018

Aix-en-Provence - Juin 2018

​

J'ai failli mourir.

 

Voilà. J'ai imaginé toutes les manières de l'annoncer, les plus directes, les plus subtiles, mais les faits sont têtus. Dans les montagnes du Népal, là où j'avais déjà passé des semaines à traîner mon sac au milieu des plus hautes cimes, cette fois-ci, ça a mal tourné. J'étais parti pour gravir un sommet, mon premier 6000 mètres, après deux premiers passages dans la région de l'Everest, dont j'avais déjà arpenté les hauts-cols, perchés à 5500 mètres. Cette fois, je voulais passer un cap, dans une autre vallée, moins fréquentée, menant au Mera Peak, 6457m. J'en suis resté très loin.

​

Le chemin pour y accéder est une montagne russe, franchissant un col perché à 4700m dès le deuxième jour de marche, avant de plonger dans la jungle puis remonter la vallée menant au camp de base. Dès le début du trek, je ne trouvais pas le sommeil, malgré des journées épuisantes. Un mal de crâne lancinant s'était installé, mais dans ces conditions, tout est taillé pour faire abstraction des désagréments.

​

C'était ce que j'étais allé chercher après tout. L'inconfort qui te fait te sentir « vivant », à lutter dans des pentes insoutenables contre le grésil qui te fouette le visage, les cuisses qui brûlent et la vision troublée par l'effort. En plus, il a fait un temps de merde tous les jours, alors autant ne pas s'écouter et avancer. Voilà ce que tu te dis, et voilà le danger. L'altimètre dépasse allègrement les 4000 mètres, et dans cette zone, rien n'est anodin. C'est pas faute d'avoir été prévenu : partout dans les lodges, sur les chemins, sont expliqués les dangers du « acute altitude sickness ». Mais une fois sur place, confronté à ce dont on veut se convaincre comme des symptômes négligeables, on joue au dur. À 4300 mètres, j'arrive au lodge où je dois passer ma journée d'acclimatation. La tête fait toujours mal ? Ça va. L'appétit ne vient plus ? Ça va. Je suis nauséeux ? Ça va. Je titube quand je sors du lit ? Ça va.

​

Bien entendu, ça ne va pas du tout, et il va me falloir l'assistance du patron des lieux pour finir de me le faire comprendre. Je dois redescendre, et vite. Le vendredi matin, un hélicoptère vient me chercher et me ramène à Lukla, 2600 mètres, puis à Katmandou. En vol, je suis confus, absent, perclus de douleurs un peu partout dans mon corps. Sur le tarmac, une petite voiturette m'attend. « We want you to go to the hospital ? ». Moi ? Ah bon ? Non mais franchement ça va hein. Je me laisse conduire jusqu'au ERA Health Center, en plein centre de la ville. Je titube franchement, mes appuis sont précaires. Je suis pris en charge et me retrouve avec un masque à oxygène sur la gueule, à expliquer mes symptômes au médecin en chef pendant que je subis une prise de sang. « Combien de temps je vais rester là ? ». « Au moins la nuit prochaine, peut-être deux jours ». Quoi ? Deux jours ? Mais pourquoi ? Je vais bien ! continuais-je de me mentir.

​

Je passe la journée puis la soirée sur mon lit d'hôpital, à regarder le temps qui passe et les murs de ma chambre. Le lendemain à la mi-journée, le médecin m'apporte une enveloppe. Mon laisser-passer, ou laisser-partir, c'est selon. L'entête du courrier est très officielle, on dirait presque un diplôme. Je parcours les lignes, lisant le résumé de mes symptômes , puis les observations du corps médical, avec des termes se faisant plus « sérieux ».

Puis cette ligne : « The patient was admitted and treated with the final diagnosis of High Altitude Pulmonary Edema ».

​

Oedème pulmonaire aigu de haute-altitude. Ces mots me glacent. Sans le savoir vraiment, je viens de subir l'accident le plus grave en montagne, première cause de décès dans ce milieu. Je suis complètement sonné, et me repasse tout le fil des dernières 48 heures. Ce matin où j'ai mis 20 minutes à tendre le bras pour mettre une chaussette. Cette toux étrange où j'avais l'impression que quelque chose flottait dans mes poumons. Cette envie d'aller au village à une heure de marche en amont parce qu'après-tout, c'est pas si loin que ça, « et puis c'est quoi 500m de plus ? ». 

Le médecin vient me voir et m'explique mon cas. « Heureusement que vous êtes descendu. Sans traitement, près d'un cas sur deux est mortel ».

J'en suis passé tout près. Tout près. Et je me prends toute cette réalité dans la gueule, après coup, quand tout est fini ou presque. J'ai frôlé le gouffre sans même m'en rendre compte, et le vertige vient après.

 

La montagne est une de mes passions. Elle me transporte, comme elle transporte tant de personnes et tant d'amis qui chérissent sa beauté et la liberté qu'elle procure. Sans perdre la magie du lieu, je veux qu'ils prennent conscience du danger qui rôde, invisible, et qui peut frapper quiconque. J'ai commis l'erreur d'une ascension trop rapide, qui aurait pu m'être fatale. Je veux que chacun qui parcourt ces lignes sache qu'en haute-altitude, la beauté froide de la montagne ne vient pas se chercher sans précaution. Prenons le temps de l'apprivoiser. Ne courons pas contre la montre. Ne serrons pas nos calendriers. On ne peut pas bloquer « deux semaines » pour un trek en altitude comme on pose deux semaines de congé.

 

Je commence ma phase de récupération, qui durera le temps qu'il faut, avec un corps un peu cassé de partout qui va m'obliger à lever le pied les prochains mois. À tous les autres, ne faites pas de même. Si le cœur vous en dit, continuez à vous mettre la tête dans les nuages. Mais ne nous y perdons pas, ce serait trop bête.

 

​

​

​

 

CHAPITRE 4 - REVENIR
Automne 2022

​

Le Sam’s vibrait en ce lundi soir. Je marquai un temps d’hésitation au moment de coucher cette première phrase sur le papier de ce cahier acheté dans la torpeur d’un doux après-midi d’automne à Paris, à contempler le temps qui s’écoule dans les feuilles mortes et les sourires complices. Deux jours plus tard, me revoilà au pub où j’avais pris mes fâcheuses habitudes, dans le Katmandou des privilégiés occidentaux, et des locaux qui menaient grand train. Et je perdais mes repères dans le temps, à peine débarqué du vaisseau qui m’emmena de la porte de Vincennes à celle de l’Himalaya.

 

Le Sam’s est l’un de ces bars qu’on garde en tête. Au fond du pas de porte, l’escalier qu’on devine depuis la rue passante monte en marches raides jusqu’à une ouverture en arcade sur la droite, d’où l’on distingue la tenancière derrière son comptoir. 4 ans plus tard, Verena n’avait pas changé. Le temps n’avait pas d’emprise sur cette Autrichienne aux traits figés aux alentours du demi-siècle, dont la silhouette menue et tonique se fondait si bien dans le décor. Après un passage sur la terrasse, je retrouve le tabouret que j’avais laissé avant mon assaut impétueux du Mera Peak.

 

Ma fougue d’alors m’avait jeté au sol, le menton frottant le goudron du parking de la clinique ERA qui répara les dommages de mon péché d’orgueil. L’altitude ne se dompte pas, elle s’apprivoise. Un œdème pulmonaire fut le prix de cette leçon. Je remets les pieds à présent sur cette terre qui me fascine, guidé par une flamme de 1.600 jours qui révèle cette envie  : refaire face au vertige des cimes, changer l’ivresse en conscience. 

​

​

 

18 OCTOBRE 2022 - Katmandou
Long time no see

​

La première nuit me plonge dans un sommeil long et réparateur. J’émerge à la mi-journée, affrontant l’éternelle épreuve du “Qu’est-ce que je fous là”, lorsque l’inconnu de la page blanche suscite encore plus de questions que d’excitation. Je mets près d’une heure à me donner l’élan de départ qui me portera à travers ce nouveau voyage. Il est déjà presque 14h quand je sors de la chambre. La chaleur est bien moins pesante que dans mes souvenirs, où chaque effort d’après-midi compte triple. Le guide avec qui j’ai discuté la veille pendant mes mo-mos du soir m’avait mis sur la voie: “It’s been freezing cold last week”. Cette année, mon plan est double. Rêver du Mera comme un aboutissement ultime, mais d’abord me mettre en jambes avec un nouveau venu qui me trottait dans la tête depuis longtemps : le Langtang.

​

Avant tout le reste, trois lettres, ERA. Mon dernier souvenir du Népal. Les petites mains de cette clinique m'avaient soigné il y a quatre ans, et je dois les revoir. Au fond d'une impasse bordant Thamel, un grillage ouvert, et un garde à l'entrée. Je ne reconnais pas les lieux. "La nouvelle réception a ouvert l'an dernier", m'expliquent deux jeunes filles au guichet d'accueil, à qui je remets un paquet de macarons et de chocolats achetés avant de décoller de Paris. "You took care of me four years ago. I just wanted to thank you for everything. You probably don't remember me, but i remember you". Mes explications s'étouffent ensuite dans ma gorge nouée. Je m'éclipse.

 

En chemin pour le bureau des permis de treks, je m’arrête à une échoppe minuscule sans devanture. Depuis la rue, on aperçoit dans une fente “Kaki” (tata en népalais) derrière les cocottes à vapeur qui la cachent de la vision des passants. J’y rencontre Yam, porteur et guide, qui me compte sa dernière virée au Langtang avec un groupe de Danois. “Kaka” (tonton), se joint à la causette. Je repars une heure plus tard, bien content de ma découverte et des nouvelles connaissances faites dans le quartier. J’aime bien avoir mes habitudes et mes adresses, ça ne change pas. 300 roupies passent ensuite dans les photos nécessaires à la TIMS, incontournable carte d’identité des trekkeurs, que je n’obtiendrai finalement que demain. Ce mardi, le bureau est fermé pour un jour férié, en l’honneur d’une sommité népalaise décédée récemment. Qu’importe, ma traversée des ruelles grouillantes du bazar d’Assan (mention pour l’étroitissime Masa Galli), m’a donné l’élan pousser jusqu’au temple de Swayambunath, à l’ouest de la vallée.

​

Perché sur sa colline boisée, on distingue le stupa sitôt sorti des veines de l’hypercentre. Je franchis la Bishnumati, rivière qui traverse la ville du nord au sud, puis parviens aux premières marches de Swayambu. Les arbres du Monkey Temple grouillent moins qu’il y a quatre ans. Les singes se font presque rares même si certains font le spectacle, suspendus à une liane ou un drapeau de prière. J’arrive au grand dôme et sa coiffe dorée, sublimés par le soleil du soir. Je n’ai jamais maitrisé le jargon et les subtilités de l’architecture monastique. Nul besoin pour apprécier la beauté du lieu, qui offre une vue plongeante sur la vallée de Katmandou, jusqu’à Patan. J’accomplis mon chemin de retour dans la nuit naissante, à slalomer entre les motos dont les pétarades aigues trahissent les petites cylindrées. Les Triumph locales ont le bruit des Piwi 50cc 3 vitesses que je pilotais pendant mes colos d’ados, ça me donne envie de réessayer d’ailleurs.

J’honore mon premier dhal-baat à la terrasse du Northfield, dont la carte aux arrangements très européens n’empêche pas d’assurer les classiques. C’est à cette table que je couche l’introduction qui ouvre ce livret. Il m’aura fallu 24h pour dérouiller la vieille mécanique du récit de voyage, et un jour de plus pour m’y replonger. Un bref passage au Sam’s me fait rencontrer Milad, la trentaine, local de Katmandou, et Dean, 64 ans, ancien pilote de l’US Air Force avec qui on parle gros porteurs C-130 et voyage en solitaire. Je mets le réveil pour la première fois du séjour en prévision du lendemain, où je souhaite régler mon permis de Langtang dans la matinée. 

 

Nepal Momos
Sam's

19 OCTOBRE
Vieilles habitudes

Le réveil sonne à 10h, bon compromis pour finir d’encaisser le décalage folklorique de 3h45 qui sépare Népal et France à cette période de l’année. En chemin vers le bureau des permis, je réalise d’ailleurs que je tourne à l’heure indienne (celle de mon escale à Delhi), faute d’avoir ajouté ce si particulier quart d’heure népalais aux aiguilles de ma bonne vieille Seiko Chronograph. Du terminal flambant neuf de l’aéroport aux formulaires de visas ou de treks, beaucoup de choses ont changé ici en 4 ans. Au Nepal Tourism Board, je me retrouve à flasher un QR Code pour remplir les formalités nécessaires à la légendaire TIMS, dont le petit carton vert n’a lui, heureusement, pas changé.

 

Lors du passage au bureau du Langtang, on me parle du poumon vert qu’est le parc, et des pandas roux qui s’y cachent. Peu de chances de tomber dessus au détour d’un chemin, mais savoir leur présence, comme la panthère des neiges au Manaslu, saupoudre le tout d’un piment particulier. La vision de cette carte tamponnée concrétise une envie profonde, embrumée jusqu’alors dans des souvenirs déjà lointains. Je retrouve subitement le frisson des préparatifs, l’excitation saine du voyageur solitaire qui stimule son esprit pour l’amener à “penser à tout”, de la barre énergétique à la paire de chaussettes chaudes et confortables des soirées en refuge, jusqu’au rouleau de papier toilette et au cable USB de la batterie solaire. 

Comme souvent, je ne connais rien ou presque de l’endroit que je m’apprête à arpenter, à part les altitudes et les conditions météo. Cette démarche est à la fois naturelle et délibérée, assumée : c’est  bien cela pour moi, au sens premier, la découverte. 

 

Stupa Swayambunath Kathmandu Katmandou Nepal

20 OCTOBRE Katmandou - Syabrubesi
Au Nord, bien plus au Nord


Le “penser à tout” des veilles de trek a un prix : le cerveau tourne sans vouloir s’arrêter, au point de considérer le sommeil comme activité dispensable. Au lit dès 23h, après un bref appel avec maman, je passe la nuit à maudire ce sommeil qui ne vient pas, mélange d’excitation et restes de décalage horaire n’aidant pas. A 6h30, l’alarme m’expulse de mes premiers songes et je titube, groggy, jusqu’au téléphone, qui lance une très longue journée sur la route. Le taxi prévu à 7h, lui, ne s’est pas pointé. J’embarque avec Ganji, qui lui s’était réveillé, et me mène au terminal des bus locaux. Il n’y a pas de Tourist bus pour le Langtang. Ca annonce la couleur. Avant d’embarquer, un autre trekkeur se pointe, Marco, un Australien de 19 piges face à qui j’embrasse mon statut d’ancien, du haut de mes 31 barres. Ces échanges traduisent ce passage de l’ivresse à la conscience que je mentionnais précédemment. Marco est novice au Népal, et ses questions rappellent subitement tant de vécu, des nuits congelées en lodge aux trajets sans fin en Jeep à travers le Cachemire. Parole de “néo-vieux” typique : je suis bluffé par sa lucidité après même pas deux décennies de vie. J’avais pris la route pour mon premier grand voyage à 23 ans.

​

1020 roupies passent le ticket de bus, qui part rapidement, sur les coups de 7h30, et quitte les faubourgs poussiéreux de Katmandou, vers le Nord-Ouest. La progression est laborieuse, ralentie par les travaux routiers à foison. Au passage d’un guet, le chantier d’un ambitieux tunnel sous le col du Nhagdunga, verrou chaotique et surchargé entre Katmandou et la route de l’ouest. Plus loin, les piliers d’un pont loin d’être achevé. La pause arrive aux abords du Bidur. En contrebas courent les eaux vives de la Trishuli, au bord de laquelle deux pêcheurs s’affairent, canne à la main. Sur l’étal d’un marchand, les “local fish” grillés et rougeoyants d’épices, dont je ne parviens pas à retenir le nom. Au fil des arrêts, les visages changent et s’assombrissent, s’allongent.  Les parures sont font plus vives. Au bout de la route du Langtang, la Chine, et déjà, le Tibet.

 

​

 

"Updated after earthquake"

​

La route alterne entre parties goudronnées et portions défoncées, que notre chauffeur attaque de plus en plus fort avec les heures qui s’écoulent.  Plus séduisant, nous entrons sur les terres du panda roux, porté au firmament de notre culture contemporaine occidentale par les miracles d’Internet, et sujet de toutes les attentions des autorités locales. Plus tard dans la soirée, un guide m’assurera qu’il est possible d’en apercevoir, “si tu as de la chance”. “Tu voyages seul, c’est un avantage. Le panda roux est timide et n’aime pas le bruit”. Le checkpoint se passe sans encombres. Les militaires cherchent des drones qui pourrissent la quiétude de la riche faune du coin. J'apprendrai au retour que les contrôles sont plus poussés dans l'autre sens : la route est un haut-lieu du trafic d'or clandestin entre la Chine et le Népal.

 

La route s’élève jusqu’à Dhunche, avant de replonger vers Syabrubresi, dans un dernier calvaire pour nos arrière-trains, mis au supplice des nids de poule, et des plaies encore visibles du séisme de 2015, qui avait dévasté la région, rayant certains hameaux de la carte. Les trekking maps récentes arborent ainsi une pastille “Updated after earthquake”, donnant une idée des cataclysmes provoqués par la force de la Terre. Enfin arrivés à Syabrubresi, vers 16h, Marco et moi profitons des belles lumières du soir naissant pour explorer les premières mètres du sentier. Un premier pont suspendu surgit dans la végétation luxuriante. Dans le hameau désert sur le chemin de Tiwari, un oiseau à la robe rousse, blanche et noire virevolte devant mes yeux puis s’en va. Demain s’annonce la journée la plus éprouvante du trek, avec un +1100 de dénivelé positif, jusqu’à Lama Hotel. Douce ressemblance avec l’attaque du sanctuaire des Annapurnas et sa montée sèche et brutale vers Chomrong, dont nous rigolons avec le guide installé à côté de moi dans la salle à manger. Ce local d’Helambu semble surpris de cette himalayenne, et s’en amuse avec moi. Pas déplaisant pour l’amour propre.

 

21 OCTOBRE - Trek du Langtang
Syabrubresi (1400m) - Rimche (2400m)

Le grand test 

​

​

Je savais que l’entrée en matière serait corsée, je suis servi. Réveil à 6h30 et départ à 7h40, direction Lama Hotel, du moins sur le papier. Après le pont suspendu repéré la veille, je  prends à gauche, direction Bhanjyiang, droit dans la pente à travers la végétation épaisse. Celle-ci est déroutante la foret de pins sème de massives pommes qui garnissent le sentier bruni par l’humdifité du matin. Signe ou non de la préservation de la région, d’énormes vers de terre pullulent sur l chemin, les oiseaux doivent se régaler ici. En parlant de faune, je passe les premières heures dans le silence absolu à espérer l’apparition du panda roux. Comme la panthère, chances quasi nulles de l’apercevoir, mais savoir sa présence dans ces bois suffit à stimuler l’imaginaire. En approchant de Bhanjying, du raffut dans les branches. Une famille de “Red Monkeys” est de passage. “Red Monkays, not white monkeys” me crie gaiement Mingyu, qui descend vers la vallée à grandes enjambées avec son fils. Au village, je recharge mes gourdes au lodge dont la jeune gérante s’affaire sur son métier à tisser. La montée ombragée est agréable, mais n’en finit plus. Le sentier, qui alterne entre piste forestière et “shortcuts” au milieu des pins, porte encore les stigmates du séisme. Les restes d’une vieille ligne électrique gisent dans ce qui ressemble à un gigantesque glissement de terrain
 

L’escale à Sherpageon et son ginger tea sur la terrasse panoramique du Tibet Eco Lodge s’achèvent avec un problème naissant de sac à dos que je devrai surveiller. Les sangles tirent sur la droite et mes dorsaux, bien plus contractés que de raison. Je rééquilibrerai le tout demain matin. Les gars du lodge me conseillent d’abandonner mon projet de pousser jusqu’à Lama hotel mais d’opter pour Rimche. C’est plus proche, je ne me fais pas prier pour suivre la parole avisée. Dans l’éprouvante descente, où l’on entend le torrent qui rugit en fond de vallée, je fais la connaissance d’un sympathique couple dont l’accent m’interpelle. Le “Yees” néo-zélandais de Shirley et Jeff, longue tige aux tibias marqués et cheveux blancs, provoquent en un souffle la sympathie sincère et naturelle que j’éprouve pour nos chers kiwis. Nous approfondissons les présentations lors d’une délicieuse arrivée à Rimche, où les chambres donnent sur la terrasse de pierre baignée par le doux soleil de la fin d’après-midi. Je réalise alors la spécificité de mon parcours du jour : les groupes défilent, arrivant d’un sentier en contrebas : le chemin “classique” du jour remontait la rivière. Je n’en savais rien, et c’est parfait comme ça. Rimche est le point de convergence des deux voies de montée et nombreux sont les groupes songeant à s’y arrêter pour la nuit. 

 

Langtang
Rimche Langtang Trek

22 OCTOBRE - Trek du Langtang
 Rimche (2400m) - Langtang (3400m) 

La soirée à Rimche avec Jeff et Shirley est un bonheur. L’ancien professeur de physique honore son rôle de vieux sage dans une assemblée bien plus jeune. Un groupe entier s’était formé cercle, autour de lui, assis dans l’herbe fraiche sous le doux soleil de 16h. Une “bande e jeunes”, comme je suis désormais habilité, à les appeler du haut de mon grand âge, découvre les joies du trek au Népal, et boit les paroles de Jeff comme celles d’un oracle. On y parle des changements de la nature, d’éducation, de rapport au temps, un bon moment. Dans la chambre d’à côté s’installe un jeune couple de Savoyards (noms oubliés, désolé) et leur petit Samuel, 8 ans, qui n’a pas l’air d’être un novice dans les sorties en montagne. Il y a autant de modèles d’éducation que de relations parent-enfant, mais celui-ci m’a l’air pas trop mal. L’apport n’est pas tant sur l’instant, encore que Samuel a déjà l’âge de graver de profonds souvenirs des mieux dans sa mémoire d’enfant, mais dans le futur, avec les aptitudes que ce type d’expérience développe dès le jeune âge, dont l’adaptation à l’imprévu et le gout de la vie simple, dépouillée, recentrée sur les essentiels : trouver un refuse pour passer la nuit, écouter les éléments, s’adapter en fonction.

 

Il est question de ce genre de considérations dans mes discussions avec Jeff et Shirley, avec qui je disserte sur les voyages à travers le monde, la montagne, et notre passion commune du vélo. Jeff me raconte ses odyssées à travers l’Europe, Shirley les sentiers du grand-sud néo-zélandais. Il serait temps que j’y retourne d’ailleurs.

 

Mon approche du voyage a cependant sensiblement changé : revenir au Népal était une obligation, un chapitre à conclure. Je ne suis toutefois plus dans l’esprit de la quête du bout du monde. Les années de restriction auront eu ces bienfaits de nous rappeler à nos terres, et nous recentrer sur ses beautés suffisamment proches et remarquables pour ne plus “partir à tout prix”. L’évasion est une quête que j’ai pu mener au printemps sur les routes du Finistère, ou au cœur de l’hiver dans le fond du Queyras. Cet épisode népalais a cette singularité personnelle, qui me le rend incontournable. Mais ce n’est pas crier avec les loups que de vouloir rendre à la distance sa vraie valeur. 

C’est l’esprit de cette lente remontée de la vallée du Langtang. Une journée pleine de bus pour parvenir simplement au point de départ, puis d’intenses et éprouvantes marches, près de 8 heures hier, 7 aujourd’hui. Je me réveille l’esprit encombré par ce dos déjà meurtri. Si c’est comme ça à la fin du premier jour c’est mal barré pour la suite. Le porridge au muesli/ginger Tea passe bien, dans le réfectoire dont les douces chaleurs du poêle à bois se sont évanouies (ont fait long feu, PTDR). Je lève le camp vers 8h40, après avoir réglé la note à la patronne qui me charge de livrer un petit sachet à un lodge de Langtang, ma destination du jour. Les ficelles sont un peu grosses et je me doute de la teneur de la manœuvre (m’envoyer vers un lodge de la famille), mais j’embarque le colis malgré tout en lui glissant sur le ton de la vraie-fausse blague qu’elle me fera un prix sur le chemin du retour. 

Les premiers pas dans la fraicheur humide des matins en forêt sont une délivrance. J'ai bien rééquilibré selon la règle fondamentale (le lourd en bas, le léger en haut), et tou va mieux dans mon dos. Je me passerai sans problème de l’appareil photo plongé dans les abysses de mon Quechua Symbium, qui commence lui à montrer ses premiers signes de fatigue après des années e bons et loyaux services (et de maltraitance).  La couture bordant le zip central a cédé sur deux bons centimètres, il va falloir que je surveille ça. Je rattrape vite les camarades de diner à travers une forêt qui change peu à peu. Le parcours du jour est bien plus régulier que celui de la veille. De Rimche, une brève descente vers Lama Hotel, avant de remonter au fil de l’eau, de rive en rive par une série de ponts parfois suspendus. La veille, aux heures chaudes, l’air embaumait d’effluves sucrées, épaisses comme le miel de châtaigner, puisées d’une végétation récitant sa pleine gamme de senteurs sous le soleil montagnard. 

​

Langtang River
White Monkey Nepal Langur Singe

Ce matin, le petit peuple de la forêt, papillon bleu lagon et chenilles jaune vif, reprend ses droits. Tant pis pour le panda roux, que je traquerai au retour. A mi-chemin, Ghodatabela, 3.000 mètres. Le forêt s’ouvre alors sur les alpages, garnis encore de quelques arbres où j’aperçois les premiers Langurs gris, ou “White monkeys”, célèbres singes tibétains, au visage noir casqué d’une épaisse fourrure blanche. J’ai déjà vu plus du faune sauvage en deux jours au Langtang qu’en une presque décennie de treks successifs au Népal. Pas un hasard. La vallée entretient ses efforts de préservation, même si le virage touristique la force à vivre sur une ligne de crète difficile à tenir. Et oui, les "White Monkeys" vont faire leurs courses dans les champs de patates des paysans locaux. Ici comme ailleurs, la cohabitation ne va pas forcément de soi. Passé Thyangsyapu, la montée vers le village de Langtang, marque l’entrée dans la haute montagne, avec ses signaux physiologiques. L’humidité des bois laisse place à la sécheresse de l’air minéral. Je retrouve les sensations de ces légers maux de gorge, qu’on prendrait pour un début d’angine, mais qui ne sont que la manifestation d’un monde : celui de l’altitude. Sur la gauche, une titanesque cascade crache à la verticale d’une falaise brune un torrent qui rugit à travers un désert de pierres. Plus loin la dernière montée entre de gigantesques blocs de roches, comme un pan de montagne sens dessus dessous. J’apprendrai dans la soirée qu’il s’agissait du glissement de terrain ayant anéanti l’ancien village de Langtang, désormais enseveli sous la  montagne. J’arrive dans le nouveau Langtang, posé dans la haute plaine, faisant face au soleil qui plonge au fond de la vallée. Une fois, le fameux colis suspect déposé au lodge (qui ne valait pas la peine du déplacement), je redescends vers les premières bâtisses, baignées par la lumière du soir. De l’autre côté de la procession de pavés sur laquelle les marcheurs pénètrent dans Langtang, des yaks paissent tranquillement, sous l’œil d’un imposant stupa gardant l’entrée du village. 

Langtang

Images, vidéos et textes: Christophe Chafcouloff.

Ca vous a plu? Faites le savoir !

(et un coup de pouce fait toujours plaisir)

Christophe Chafcouloff

Aix en Provence - Paris

christophe.chafcouloff@gmail.com

Tel: 06 43 49 24 89

Merci ! Message envoyé.

bottom of page