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Trek du camp de base de l'Everest

 

Lukla -  Camp de Base de l'Everest - Kala Patthar - Lukla

 

17 jours - Dénivellé positif: 4670 mètres

Les stats à la con:

Distance parcourue: 93 kilomètres

Poids du sac au départ: 17 kilos 100 grammes

Stock de snacks: 3 sachets de sucre blanc (200g x3), 8 Mars, 8 Kit-Kat, 10 barres de céréales.

Espace de carte mémoire utilisé: 44 Go.

Point le plus bas: Phakding (2600m).

Point le plus haut: Kala Patthar (5550m)

Blessures: 2 ampoules.

"Namaste" prononcés: 637 284 901

En orange, les chemins empruntés uniquement sur le trajet retour.

Contexte: je rallie Kathmandou en bus, malade. J'ai sans doute trop fêté mon trek de l'Annapurna, et je me sens faible. 3 jours de traine plus tard, c'est le jour J. Il est temps de retrouver les montagnes. Et pas n'importe lesquelles.

32ème jour (1er jour de trek)

Kathmandou - Lukla (2800m) - Phakding (2600m)

 

Changer d'air

 

J'attaque donc le très gros morceau de ce voyage dans un état proche de la convalescence. Mon régime 100% riz blanc des derniers jours fut parfois difficile à suivre, mais je dois finir d'assainir mon organisme avant de retrouver mes dhal-baats bien aimés.

J'attrape donc ce matin là un taxi pour l'aéroport et son terminal dédié aux vols domestiques, bien loin des standards européens. Première bonne nouvelle: le seul tableau d'affichage électronique n'annonce aucune annulation pour les vols vers Lukla.

Deuxième bonne nouvelle: mon ventre me laisse tranquille. Une fois mon sac et mon bâton bien-aimé (celui trouvé sur les pentes de l'Annapurna, que je compte bien ramener en France) déposés, je patiente une bonne heure dans un hall peuplé à 80% de chinois, dont un groupe se prenant en photos (et pas qu'un peu) avec des moines tibétains également en partance.

Nous patientons (les 15 autres passagers + moi) devant le petit coucou de Tara Air pendant une vingtaine de minutes pour "régulation du trafic aérien". Pendant ce temps, je m'amuse des méthodes "à la népalaise" pour faire démarrer un autre avion à proximité: on tourne les hélices à la main en attendant que le moteur prenne le relais.

L'intérieur exigu de l'avion me fait cotoyer quasi-directement le pilote (je suis assis juste derrière lui), qui nous "fournit" un vol sans encombre (25 minutes) jusqu'à Lukla, dont j'aperçois la piste d'atterrissage depuis mon siège. Le bout de tarmac en pente coulé en bord de falaise semble a priori beaucoup trop court mais au final, je préfère prendre le truc comme une attraction gratuite au Parc Astérix et le moment devient assez marrant. Je retrouvai mon sac (un peu trop lourd en ce début de trek) et mon bâton (qui amuse bien les gars de la police locale avec qui je plaisante deux minutes), puis me mis directement en route pour Phakding, que j'attins deux heures de marche plus tard. L'air d'altitude (déjà 2600 mètres), bien plus respirable que celui de Katmandou, semble me convenir bien davantage. Je m'installai au "Kala Patthar Lodge", tenu par une gérante souriante et blagueuse. La petite chambre m'accueille pour 3 heures de sommeil réparateur (qui ne sont pas de trop) auxquelles du terme la patronne des lieux me lance un "Good Morning" qui nous décroche un bon rire. Mon traitement antibiotique semble stabiliser mon état, mais vigilance reste encore obligatoire. C'est seulement quand il est d'une stabilité précaire que l'on se rend compte du bien-être que procure un tube digestif en bonne condition. Allez, croisons les doigts.

 

Et comme dirait Joël Robuchon..

La "réputée" piste de Lukla,

"l'aéroport le plus dangereux du monde" (sic)

Faut pas se rater

"Bordel, quand on rentre sur la piste."

Booba

"Là je suis pas bien"

Maitre Gims

 

33ème jour (2ème jour de trek)

Phakding (2600m) - Namche (3440m) ; +840

 

De l'avant

 

Le début de nuit est celui de tous les doutes. Tous les scénari me passent par la tête et m'encombrent l'esprit, mais je parviens à trouver le sommeil pour une récupération sans encombres. 

Je prends la route de Namche vers 8h, dans une fraicheur matinale qui me permet d'avancer rapidement malgré quelques bouchons causés par les nombreux convois de yaks et d'ânes cheminant eux aussi vers Namche. Je suis surpris par le nombre de checkpoints jallonant le parcours (4 pour la seule journée d'aujourd'hui). Le sentier monte et descend gentiment jusqu'à un impressionnant pont suspendu à partir duquel le chemin s'élève brutalement. Les lacets abrupts et poussiéreux me conduisent au bout de 4 heures de marche à Namche Bazaar, "capitale" de la région du Solu Khumbu. Le village (ou plutôt la ville) construit à flanc de montagne impressionne par son étendue, vu l'altitude déjà élevée (3500 mètres ou presque). J'aurai tout le temps de le découvrir, puisque je compte y passer 2 jours, afin de m'acclimater en douceur. La fin d'après-midi m'autorise une petite balade sur les hauteurs, d'où j'aperçois pour la première fois l'emblématique Ama Dablam. Le régime riz blanc-thé noir que je m'impose par sécurité semble me réussir plutôt bien. Je me sens bien plus léger, et pour marcher, c'est assez pratique.

34ème jour (3ème jour de trek)

Acclimatation à Namche

 

Nouveau souffle

 

Réveillé par la lumière du jour, je saute dans mes Asolo  (mes chaussures de marche hein) direction le point de vue de la veille, où je profite cette fois d'une vue parfaitement dégagée. Premier constat: je m'étais honteusement gourré sur l'Ama Dablam. Celui-ci, plus en retrait dans la vallée, se distingue nettement en ce matin là. Tout au fond, j'aperçois pour la première fois la pyramide sommitale de l'Everest, encore bien petite de là où je me trouve. De retour au village, je décide de m'accorder LA fantaisie de ce trek: un massage de 45 minutes pour me soulager le dos, qui en avait bien besoin. J'ai arrêté les antibiotiques hier soir et je me sens déjà mieux. Seul, il est préférable de rester (trop) prudent et d'espérer que je retrouverai très vite un état "stable", au sens de pourvoyeur de plus de certitudes quant aux jours à venir.

Profitant d'une séance UV sur la terrasse du lodge, je tape la causette à un couple de suisses ayant lâché (depuis 9 mois) leur Romandie natale pour voyager à travers l'Asie. Partis de Saint Petersbourg, ils ont construit leur chemin à travers Russie, Mongolie, Chine... bref, encore des histoires fascinantes qui commencent à s'accumuler avec les semaines qui filent. Je fais également connaissance avec Andrew, un sudaf' (le premier rencontré depuis mon arrivée en Asie) natif de Durban. Le repas agrémenté de mo-mos (première vraie nourriture hors riz blanc depuis 5 jours) est très convivial. La conversation s'engage ensuite avec les guides népalais et la gérante du lodge, après que leur aie fait part de mes interrogations quand l'accident dont tout le monde parle au village (voir par ailleurs). On me confirme que toutes les expéditions sont annulées, et que les guides-porteurs népalais se mobilisent en vallée. L'arrive donc à un moment inédit, qui me pousse à en savoir plus sur la condition des travailleurs de l'Everest dans les jours à venir.

35ème jour (4ème jour de trek)

Namche (3440) - Tangboche (3870) ; -240, +670

 

De plus belle(s)

 

Tout semble se remettre en place dans mon estomac. Me voilà donc en route pour Tangboche, après un réveil précoce (5h30) et un réapprovisionnement en espèces au distributeur de billets du coin (à 3500m !). La sortie de Namche, très raide, ne dure cependant pas plus de 20 minutes, et débouche sur un merveilleux sentier en balcon, le long du flanc ouest de la vallée. Je retrouve (dans la vraie vie et de mes propres yeux) les paysages admirés dans le Trek Magazine Spécial Népal que papa m'avait acheté, et que j'avais dévoré à maintes reprises. L'Ama Dablam surplombe les alentours et m'accompagne jusqu'en fond de vallée, où j'entame la remontée (très raide encore) vers Tangboche. Un énième checkpost plus tard (celui de l'armée cette fois), je traverse une forêt de rhododendrons en fleur, d'où le chemin s'élève brutalement. La voie, très poussiéreuse, ainsi que la végétation quasi-méditerranéenne et l'odeur de pin embaumant l'air me rappellent ces sentiers du littoral que j'ai l'habitude de parcourir vers chez moi, en Provence. Curieuse sensation de se sentir un peu comme à la maison sauf qu'ici, l'altimètre tutoie déjà les 4000m.

En cours d'ascension, je rencontre un très sympathique couple du Nebraska, avec qui j'engage la conversation. Sylvia et Roger me parlent de leur périple mais aussi très rapidement de leur fille ayant passé 3 ans à Aix, ainsi que de leurs séjours dans ma ville fétiche. Quelques heures plus tard, ils me feront même les louanges du restaurant "Maxime", où nous avons nos habitudes. Petit monde.

Une fois la montée vers Tangboche achevée, le paysage s'ouvre subitement sur un immense haut-plateau d'où les plus hauts sommets du SoluKhumbu nous contemplent. L'heure très raisonnable (14h) me permet une première visite du réputé monastère de Tangboche, dont je prends le temps d'admirer les merveilles. J'y reviendrai demain matin pour la cérémonie quotidienne.

L'heure du dîner arrivée et l'appétit bel et bien revenu (quel bonheur!), je passe la soirée attablé avec Sylvia et Roger, dont l'incroyable passion pour les montagnes et immuable malgré les années (tous deux sont à la retraite) m'impressionne et force mon admiration. Je suis désormais invité dans leur maison au fin fond du Colorado pour y découvrir les sommets du coin. Un projet de plus!

Les deux galettes pomme de terre/oeuf (ainsi que les bières offertes par Roger) m'ont définitivement remis d'aplomb. J'entame donc demain la "pré-haute montagne" avec un moral au beau fixe, soulagé de pouvoir compter sur un organisme fiable et qui je le sais, me mènera au bout de mes volontés les plus profondes.

36ème jour (5ème jour de trek)

Tangboche (3870) - Dingboche (4410) ; -150, +700

 

Un truc de boche

 

Une bonne insomnie entre 1h et 3h me fait renoncer à la cérémonie du matin se tenant au monastère. Je m'autorise un départ plus "tardif" qu'à l'accoutumée (je ne décolle que vers 8h30), qui me permet de partir "après la meute". La forêt de rhododendrons que je traverse en redescendant vers Deboche est également la dernière trace de végétation type "moyenne montagne" avant la bascule en zone aride, à partir du pont franchissant la Inya Khola à hauteur de Millinga. Le sentier part dans une multitude de directions et il est parfois difficile de suivre la voie principale.

Je me retrouve ainsi avec un couple d'Américains dans un passage délicat et en apic complet, nécessitant quelques fondamentaux d'escalade. La suite de l'ascension vers Pangboche se fait au rythme des nombreux bouchons causés tantôt par les convois de yaks (il n'y a plus que ça à cette altitude, les ânes restent en vallée) tantôt par les nombreux groupes organisés, progressant à allure réduite. Je garde de mon côté un rythme soutenu, afin de dépasser le gros de la foule et d'aborder la partie plate en solitaire.

Le franchissement de Pangboche marque l'entrée définitive dans les zones à plus de 4000 mètres. La végétation, bien plus éparse, laisse place à un paysage désertique, toujours aussi poussiéreux. Au contraire de la remontée vers le camp de base du Macchapuchhere (sur le trek du sanctuaire des Annapurnas) se faisant dans une vallée très encaissée, le chemin progresse le long d'un haut-plateau d'où j'admire l'Ama Dablam (désormais littéralement en face de moi) ainsi que le massif de l'Hinku Himal, comprenant les majestueux pics du Thamserku et du Kangtega, observés la veille depuis Tangboche. J'aperçois brièvement la cîme du majestueux Pumo Ri, qui disparaitra dans les nuages pour le reste de la journée. Malgré la reconnaissance du trajet faite le matin même, j'emprunte le mauvais chemin et arrive à Dingboche, à l'Est de Pheriche, ma destination initiale.

L'éloignement très réduit entre les deux villages, ainsi que le confort tout à fait acceptable des lodges me font poser mon sac sur les coups de midi, dans cette quasi "bourgade" perchée à 4400 mètres, où j'étais dans tous les cas censé me rendre demain, pendant ma journée d'acclimatation (obligatoire après un passage de 3800 à 4400 mètres).

Je rattrape une bonne partie du sommeil égaré la nuit dernière grace à une "sieste" avoisinant les 3 heures. Je rencontrai auparavant Craig et Maddie (mon âge), également en route pour le camp de base. Je ferai peut-être un petit bout de chemin avec eux, tout comme ces deux gars de Manchester (à l'accent typique) que je retrouvai à table, après leur avoir parlé 3 jours plus tôt sur le chemin de Namche.

Bien entendu, je prends le temps de poser la question essentielle pour tout mancunien: United ou City? Réponse des deux: United, dont l'entraineur vient de se faire virer (j'appris la nouvelle par leur intermédiaire). Tough times.

Je m'accorderai une petite marche d'acclimatation demain, sur les pentes du NangkarTshang (5616m), sans sac, et sans souci de santé quel qu'il soir. Libéré, donc.

37ème jour (6ème jour de trek)

Dingboche (4410) - Nangkartshang (4900) - Dingboche ; +500, -500.

 

Prologue

 

Certains raccourcis de pensée pourraient tendre à rapprocher acclimatation et repos. Passés 4000 mètres, il est de bon ton de corriger cette erreur par une bonne grosse marche à plus haute altitude. Après un Tibetan Bread/Miel du meilleur effet en guise de petit-déjeuner, je m'attaque (comme une bonne partie des occupants du lodge) au très pentu NangkarTshang, orné de plusieurs petits stupas. La "colline" (à l'échelle du SoluKhumbu) offre des points de vue remarquables sur le Cho La Tse, l'Ama Dablam, ainsi que sur les vallées de l'Imja Khola et du Lobuche Khola. J'assiste depuis les hauteurs à un surprenant ballet d'hélicoptères volant entre Pheriche et Thokla, ramenant probablement de l'équipement en provenance du camp de base de l'Everest.

J'arrête mon ascension vers 4900 mètres. Pas question de pousser mon organisme dans ses retranchements, d'autant que le froid vif à cette altitude et un léger mal de tête commencent à se faire sentir. Je profite de la vue dégagée pour repérer depuis les hauteurs le sentier que j'emprunterai demain entre Dingboche et Thokla. Mon plan n'est d'ailleurs toujours pas arrêté. La plupart des groupes rallient directement Lobuche (4900m) mais je m'interroge encore quant à l'opportunité d'une telle progression, sachant que Thokla (4600m), situé à mi-distance, m'offre une bonne solution intermédiaire. On verra bien demain ce que mon corps me dit. En attendant, il est grand temps d'aller se coucher. Ah oui, juste un truc. Un poster affiche sur l'un des murs de la salle à manger porte le souvenir de la "Park 5 Grand Slam Expedition". Au menu: les 14 8000 mètres de la planète, les 7 sommets des 7 continents, et la conquête des pôles Nord et Sud. Gros programme. Il faudrait pas que ça me donne d'autres idées hein.

 

 

38ème jour (7ème jour de trek)

Dingboche (4410) - Lobuche (4920) ; +510.

 

A la hauteur

 

Où qu'elle se produise, l'émerveillement après une chute de neige est toujours le même. En regardant à travers la fenêtre, j'ai la surprise de contempler un paysage blanchi par 10 bons centimètres de poudreuse, tombés pendant la nuit. Je me rue dehors en cette heure très matinale (6h) et admire la haute-vallée, au visage radicalement changé par rapport à hier. J'évoluerai donc aujourd'hui dans un univers de haute-montagne, renforcé par les caprices de la météo. La marche vers Dughla (ou Tokhla, au choix) est très agréable. La lente procession s'éparpillant tout le long du sentier drappé de blanc est un spectacle que je prends le temps d'apprécier. Arrivé à Dughla, je retrouve plusieurs trekkeurs abandonnés le matin même. Tous se dirigent vers Lobuche et vu l'heure précoce ainsi que mon état de forme général, je me décide à les suivre. 30 minutes de marche éprouvante m'emmènent jusqu'au Thokla Pass, où sont érigées plusieurs stèles en mémoire des alpinistes décédés sur les pentes des géants environnants. Je pénètre alors dans l'ultime portion de l'ascension, où les marcheurs désormais directement face mythes himalayiens. Ma gorge se serre au moment où le Pumo Ri émerge des collines et dévoile son impressionnante et si esthétique silhouette.

L'altitude et la quantité d'efforts pour en srriver là me fait subitement changer d'état d'esprit concernant les camarades d'ascension que je cotoie ici. J'empruntai le pas de 3 canadiens que je considérai comme équipiers, unis devant la tâche que nous nous imposons. Me voilà ce soir à quelques pas des 5000 mètres, et à une journée de l'objectif suprême: le camp de base de l'Everest, que j'atteindrai normalement demain.

 

 

L'important avec les stupas, c'est de les prendre par la gauche

Ascension du Kala Patthar

Même la GoPro est dans le brouillard

39ème jour et 40ème jour (8ème et 9ème jours de trek)

 

Lobuche (4920) - Camp de base de l'Everest (5364m) - Gorak Shep (5140) ;  +440, -220.

Gorak Shep (5140) - Kala Patthar (5550m - Alt.max) - Lobuche (4920) ; +410, -630

 

"French Jesus"

Jusqu'aux limites

 

Le flatteur surnom biblique n'est pas autoproclamé. Il est la trouvaille d'Andrew, le trekkeur sud-africain rencontré à Namche, que je recroisai ce matin dans la moraine piégeuse du Changri Shar, sur le chemin du retour vers Lobuche. Je quittai justement Lobuche la veille vers 8h pour deux heures de marche vers Gorak Shep (plus haut lieu habité du Népal), au cours de laquelle le terrain très accidenté m'oblige à la plus grande vigilance si je ne veux pas y laisser une cheville. La sortie de Lobuche (une interminable ligne droite en faux-plat dominée par le Pumo Ri) cède brutalement face à la moraine glaciaire et ses incessantes et éprouvantes montées-descentes, que je ne quittai plus jusqu'à Gorak Shep. J'arrive (dans le joyeux bordel des randonneurs sur le départ revenant de l'ascension matinale du Kala Patthar et des arrivants, pressés de repartir vers le camp de base de l'Everest une fois leurs affaires déposées) à trouver une très "simple" chambre du même qualificatif, où je m'allège de quelques kilos inutiles avant de foncer vers le camping géant dressé le long du gigantesque glacier du Khumbu. Malgré le gain en altitude assez modéré (+200m de dénivellé, un détail!), le parcours vallonné et technique n'est pas de tout repos. J'aperçus les innombrables petits points oranges parsemant le fond de la vallée au bout d'une heure, mais il m'en fallut encore une bonne de plus pour atteindre enfin les premières tentes.

L'émotion alors ressentie est bien différente de celles qui étaient miennes sur le parcours du sanctuaire des Annapurnas.

Ici, l'accomplissement est avant tout physique. Cette sensation de dépassement de soi est renforcée par les incertitudes ayant émaillé le début de ce trek et qui me rendent avant tout fier d'avoir rempli l'objectif que je m'étais fixé: aller au bout, tout au bout, là où le tortueux chemin s'arrête face aux infranchissables murs de roche et de glace.

Me voilà donc au bout de chemin, mais encore bien éloigné de la fin de mon périple.

J'ai cheminé au plus loin. Il me reste désormais à monter au plus haut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A mon retour à Gorak Shep, la fatigue et l'altitude me clouent au lit en attendant le dîner. L'air des 5150 mètres ambiants assèche ma gorge, douloureuse à chaque déglutition. Aussitôt mon dhal-baat descendu (double ration tout de même, je ne perds pas l'appétit!), je pars me coucher, accompagné d'un fort et permanent mal de tête, résistant aux Doliprane que j'administre à doses restant raisonnables.

Mon fol espoir d'atteindre directement le matin grace à une longue nuit de sommeil s'évanouit vers 23h, où je me réveille quasi-naturellement. Les heures qui suivent, interminables, me replongent dans des inquiétudes plus marquées: et si je m'étais poussé trop loin, trop fort?

A 5h du matin, le battement des pas des premiers randonneurs se mettant en route pour le Kala Patthar me pousse hors du lit. J'eus le temps de repenser aux nombreuses lectures que je m'étais imposées sur l'altitude et ses dangers. Un mal de tête supportable n'est que peu dangereux s'il ne s'accompagne pas d'autres symptômes, dont aucun ne se fait ressentir au moment où je me prépare à l'ascension.

5h50. J'attaque d'un pas le plus lent et régulier possible la très raide montée vers le Kala Patthar. Deux autres lève-tôt (allemands) se joignent à ma progression, ce qui a le mérite de me "rassurer" encore un peu plus. 

 

Le froid vif semble anesthésier mes douleurs craniennes, que je ne ressens plus que par intermittence, à l'inverse de mon rythme cardiaque, que je m'efforce de réguler par de lentes et profondes inspirations. 

A 5400 mètres (soit à mi-distance du sommet), la concentration en oxygène diminue de moitié par rapport au niveau de la mer, et le coeur doit compenser cet écart. 

Chronomètre en main, je décide de mesurer mon pouls, mais ici, les taches les plus élémentaires me paraissent surhumaines. Mon cerveau ne suit plus vraiment, je le sais et je le sens. Je mets plusieurs minutes à effectuer une simple multiplication (39 pulsations en 15 secondes, à multiplier par 4) et constate que je frôle les 160 pulsations/minute. Les 400 mètres à fond courus toutes ces dernières années sur la piste du stade Carcassonne m'ont habitué à de telles sensations, et j'arrive à en garder la maitrise.

Deux heures viennent de passer, sans que je ne puisse sortir du brouillard mental dans lequel je suis plongé. Je sais à peu près vers où je marche, mais il y a bien longtemps que j'ai perdu ma lucidité. Presque plus rien n'existe réellement. Juste moi, le chemin, la pente, et l'air que je respire.

Je focalise tout ce qui me reste de capacité de concentration sur mes pas.

"Pied droit-baton gauche, pied gauche-baton droit, pied droit-baton gauche, pied gauche-baton droit..", voilà ce que je me répète sans cesse. Mes foulées sont minuscules, 20 centimètres tout au plus, mais je ne peux faire autrement.

Dans un moment d'égarement, je me dis alors "Il se passerait quoi si tu tapais un sprint sur 15 mètres là ? Bah tu crèves, sans nul doute". Je rigole tout seul, puis retombe dans ma lente routine.

 

Après une éreintante dernière portion où j'aperçois les drapeaux de prière disposés au sommet sans avoir l'impression de m'en approcher d'un centimètre pendant 20 bonnes minutes, je parviens enfin au point le plus élevé (et le plus symbolique?) de mon périple. 5550 mètres. Je passe près d'une heure à contempler et immortaliser l'incroyable vue sur le massif du Sagarmatha, les Nuptse, Lhotse, Changtse, encadrant un Everest encapuché de son légendaire voile blanc.

Je redescendis le pas alerte et léger, après avoir prélevé un échantillon de cette terre sacrée, que je ramènerai jusqu'à la maison. Mes affaires récupérées et l'addition du lodge réglée, je quittai ce si particulier "bout du monde" (très relatif vu la fréquentation) et retournai à Lobuche.

Quelques heures de réflexion ont affiné mon plan de retour: je ne me rendrai pas dans la vallée de Gokyo par le très élevé Cho La Pass. L'ampleur de la tâche déjà réalisée et l'infinie satisfaction qu'elle me procure me conforte dans l'idée d'une fin de trek plus tranquille. Je prendrai le temps de cheminer vers Namche, et d'apprécier quelques marches moins éprouvantes dans les environs. "French Jesus" a déjà parcouru un grand chemin, et sa barbe, inviolée depuis le début du voyage lui rappelle ô combien ce dernier a été long. Et beau.

 

MAJ du soir: je viens de prendre le diner avec deux gars dont l'expédition pour l'Everest vient d'être annulée. Probablement la forme la plus évoluée de dépit et de déception que j'aie pu voir de toute ma vie. Programme pour eux maintenant: "Drinking all the way down". Dur.

 

 

Les grandes dames n'ôtent pas leur chapeau.

41ème jour (10ème jour de trek)

Lobuche (4910) - Pangboche (3900) ; -1010

 

Solitude et disparition

 

C'est décidé, le traket retour vers Lukla sera calme et serein ou ne sera pas. Malgré une nuit glaciale (la bouteille que j'avais placée à côté de mon lit n'était plus qu'un glaçon géant au matin, ça donne une idée de la température), je dors bien, et me permet de "trainer" au lit jusqu'à 7h30. En décalant mon départ, j'évite le froid et la foule. Autant donc ne pas se presser. Dès ma sortie du lodge, je comprends que mon calcul de paresseux est le bon: pas un chat ni même un yak sur le sentier. Le haut-plateau que j'emprunte, encore engourdi et blanchi par les fortes gelées nocturnes, m'envahit de son silence absolu. Je posai alors au sol mon bien trop lourd compagnon de route pour m'imprégner de ce moment rare où l'immensité s'exprime de son plus grand potentiel, débarassée de tout son parasite. Le contraste saisissant de ces géants de roche et de glace, symboles de la toute-puissance terrestre, plongés dans le plus parfait des mutismes, me frappe autant qu'il m'enchante. Les rares âmes que je croise ce matin là, essentiellement des porteurs et presque aucun randonneur, ne troublent pas ma quiétude. La raide descente vers Tokhla me rappele cependant que les paysages himalayiens s'admirent à l'arrêt, lorsque je me fis une belle frayeur en me tordant légèrement la cheville sur une pierre une peu trop malicieuse, la faute à une tête un peu trop dans les nuages.

Mes très fiables et robustes Asolo rattrapèrent heureusement ce faux-pas, l'occasion de vanter les mérites de cette paire achetée sur les conseils avisés de Maman et de la gérante de Jean-Paul Sports, sans laquelle mes chevilles seraient déjà bien plus plus souvent parties à la perpendiculaire (merci les tiges-hautes).

Je constatai, en achevant la très longue descente vers la vallée du Lobuche Khola, que j'avais fait le bon (et involontaire) choix à l'aller en remontant sur Thokla via le sentier à flanc de montagne depuis Dingboche, m'évitant une étape Pheriche-Lobucge d'abord très plate, puis très pentue sur une distance non négligeable (+500 D+ d'une traite du lit du Lobuche Khola au Thokla Pass).

Je longeai ensuite la rivière sur 3 agréables et toujours aussi paisibles kilomètres en direction de Pheriche, seulement perturbé par les troupeaux de yaks en train de paître tranquiellement hors des enclos. A mon entrée dans Pheriche, je tombai sur cette inquiétante affiche titrée d'un "MISSING", portant disparition d'un trekkeur slovaque aperçu pour la dernière fois à Dingboche il y a déjà 6 jours de cela. J'avais eu vent de la nouvelle lors de mon passage à Dingboche, me rappelant que les zones où j'évolue librement sont tout aussi fascinantes que dangereuses.

J'empruntai ensuite la portion de sentier loupée à l'aller, qui me ramena tranquillement vers Pangboche. Les 1000 mètres de dénivellé négatif (en 3h30 de marche) passèrent étonnament bien, surement grace aux jours en haute altitude qui ont affiné ma condition physique.

 

 

42ème jour (11ème jour de trek)

Pangboche (3900) - Phortse (3800) ; +300, -400

 

Chemin de traverse

 

Je quittai l'atmosphère sereine et apaisante de mon lodge vers 8h30 (Vous remarquez? Les heures de départ se font de plus en plus tardives), direction Phortse. J'ai choisi cet itinéraire plutôt que le classique aller-retour via Tengboche car beaucoup plus sauvage. Le sentier, très escarpé, est littéralement taillé dans la montagne. Je chemine pendant deux heures sur une bande de terre et pierre mêlées, jamais plus large que d'un mètre cinquante (le plus souvent bien moins), et toujours en apic (un bon kilomètre de vide à vue de nez), offrent une magnifique et imprenable vue d'ensemble sur le parc de Sagarmatha et ses innombrables sommets (Ama Dablam, Kangtega, et Thamserku en tête).

Les 3 pauvres visages occidentaux croisés aujourd'hui renforcent mon constat d'hier: ce trajet retour est celui des longues marches solitaires et aujourd'hui, des rencontres impromptues avec la faune locale. Je tombai ainsi nez à nez avec un chamois himalayien (himalayan yar) au détour d'un versant. Quelques minutes avant se posait dans mes pas l'ombre majestueuse d'un aigle royal me survolant au ralenti d'à peine plus de 3 ou 4 mètres. Ce contact rapproché avec la nature sauvage m'aide à oublier mon dos (en particulie un noeud très douloureux sous l'omoplate gauche) qui commence à me faire grincer quelques dents.

Après 3 heures 30 de marche intense et physique, je m'installai dans une petite chambre du "Phortse Lodge and Restaurant". Pas facile d'ailleurs de se repérer dans ce village en pente, où les rares sentiers coupant les champs ne se dont que très peu visibles. Je sympathisai avec le "gérant" du jour, un gars de 18 ans qui vient de finir le lycée et apprenti guitariste. Je grattai quelques accords sous les yeux de la famille, moment vraiment sympa. Un fille un peu plus âgée me parlait également de sa soeur, émigrée en France, qui a notamment participé à l'Ultra Trail du Mont-blanc, une des courses en montagne les plus réputées au monde. Aj oui, j'oubliais, au cours de ma balade de l'après-midi, j'aperçus l'oiseau national du Népal, dont je peine à me rappeler le nom. Le volatile, au ramage bleu vif et au panache multicolore, fait un peu penser à un paon. Mes talents très limités d'ornithologue m'empêchent de pousser la description davantage.

 

 

43ème jour (12ème jour de trek)

Phortse (3800) - Namche (3440) ; +300, -600)

 

Serrer les dents

 

Dernier jour de "grande marche" avant la pause prolongée à Namche. Depuis la fenêtre de ma chambre, j'aperçois le segment fendant le versant faisant face à Phortse: le début de journée va être très raide. Une descente en sous-bous me mène jusqu'au hameau de Phortse Tenga, où je traverse la rivière du Dudh Koshi. Au loin et plus haut se profile la vallée de Gokyo, qui conservera ses mystères, du moins jusqu'à la prochaine fois... La très raide ascension avers Mong (3930m) dure quasiment deux heures, où mon dos (en particulier la zone sous l'omoplate gauche) me met épisodiquement à l'épreuve d'une douleur à la limite du supportable. Je parvins au "sommet", ou plutôt à la crête, d'où je basculai dans la longue et régulière descente vers Kyangjima, entrecoupée sur sa fin d'escaliers qu'il fait meilleur emprunter dans ce sens. La dernière portion vers Namche, assez plate, n'est qu'une "formalité" assez banale où j'essaie d'oublier les douleurs qui me lancent désormais dans tout mon flanc gauche. Une fois Namche et mon "Ama Dablam Lodge" atteint, je me relachai enfin. Cette fois oui, le plus dur est fait.

 

 

44ème - 46ème jours (13ème-15ème jours de trek)

Namche (3440)

 

Non, rien de rien.

 

Repos passif (et pleinement assumé) à l'Ama Dablam Lodge où je retrouve avec joie Andrew, mon pote sudaf' créateur originel du "French Jesus" Â®. Nous en profitons pour échanger avec des groupes ayant atteint le camp de base quelques jours après nous. A les entendre, je fus très chanceux. Le temps changeant n'a apparemment pas épargné les trekkeurs suivant nos traces, dont presque tous furent malades à cause de l'altitude et des variations de pression dues à la dépression passée sur le SoluKhumbu. Nous apprenons que deux russes étaient décédés au camp de base de l'Ama Dablam (4900m "seulement"), des suites d'un mal des montagnes trop prononcé (le mot est faible).

 

 

47ème jour (16ème jour de trek)

Namche (3440) - Phakding

 

Have you heard of the story of the Danish couple?

 

Ce titre n'est rien d'autre que la récurrente blague nous ayant accompagné toute cette journée de marche. L'histoire est simple: la veille au soir, un couple de danois nous racontait leurs déboires sur le chemin menant à Gorak Shep, puis au Kala Patthar. La faute (encore) à l'altitude qui semble t-il, tourmente bien des têtes et des estomacs.

Les courageux que nous croisâmes entre Namche et Phakding furent ainsi soumis à la mystérieuse question du malheureux duo scandinave. En fin de trek, il en faut peu pour se marrer.

Je quittai Namche en compagnie d'Andrew et Krishna, son guide, avec qui j'eus également le temps de sympathiser pendant nous journées au calme. La rapide (mais raide) descente vers le grand pont suspendu nous permet d'apprécier à sa plus juste mesure les efforts qui furent les nôtres en début de trek, à juger des rictus des randonneurs croisant notre chemin. Nous tombâmes également sur un malheureux âne à la patte meurtrie et laissé (temporairement) en bord de chemin, dont nous retrouvâmes quelques centaines de mètres plus bas des traces de sang, laissées sur les tranchantes lattes métalliques du pont suspendu.

 

48ème jour (17ème jour de trek)

Phakding - Lukla

 

En finir.

 

Je quittai avec "plaisir" notre très moyen lodge de la nuit (le premier me faisant si mauvaise impression depuis le début de mon périple): il est temps d'en finir ! Les nuages désormais bien installés sur toute la région nous dispensent d'une marche sous une chaleur trop accablante. Contrepartie: mon ultime jour de trek à travers l'Himalaya sera aussi le premier sous la pluie, qui se joint par intermittence à nous. En dépit d'un dos définitivement meurtri, je rallie Lukla sans problème, après une dernière remontée ayant laissé Andrew quelques centaines de mètres derrière.

 

Fantômes

Images, vidéos et textes: Christophe Chafcouloff.

Matériel: Canon Eos M + GoPro 3+ Black.

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