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Epilogue 

 

 

Cette partie ne figure pas sur mon carnet de route. L'écriture s'est figée dans les longues et embrumées journées d'attente à Lukla, passées à espérer un vol vers Kathmandou.

Me retrouver bloqué par le mauvais temps, dans l'incertitude d'un dernier obstacle indépendant de ma volonté fût la plus dure épreuve de ce voyage. La porte des cieux devint prison à ciel ouvert, dont je peinai à me sortir. Je ne souhaitais qu'une chose : rentrer chez moi.

Un matin, à 5h, j'allai négocier un billet de dernière minute sur un coucou de Nepal Airlines, obtenu grâce aux bonnes relations du patron du gite. Sésame en poche, le temps clément me permit de rejoindre la vallée, fin véritable de mon périple.

Les jours suivants furent anecdotiques. Je m'étais donné une marge, au cas où.

Je visitai quelques incontournables de la vallée de Kathmandou (Swayambunath, Boddhanath, Durbar Square) en prenant le temps, à chaque fois, d'en apprécier chaque détail. Un élément me marqua : les singes de Swayambunath sont d'une ressemblance troublante avec l'être humain, tant par leurs traits que par leurs comportements. De telles similitudes sont fascinantes à observer (voir par ailleurs). Nous, en légèrement différent. Rien de plus.

Une fin de voyage en solitaire est une somme de sentiments complexe à décrire.

En tant qu'individu, unique et égocentré, découvrir le monde affranchi des contraintes collectives est le plus formidable accomplissement que je puisse trouver. En tant qu'être social et sociable, je sais que de telles périodes de vie ne peuvent constituer le tout d'une existence.

Le plus grand apport de ces deux mois est clair. J'étais parti avec des convictions quant à mon besoin d'efforts en contrées lointaines. Je dois ce trait de caractère à mes parents, que je me devais de mentionner dans ce récit.

Je reviens avec la certitude que chaque personne a « quelque chose Â» qui le transporte vers des émotions dépassant tout contrôle. Eclater en larmes à la simple vision du camp de base de l'Annapurna et de la cime de l'Everest m'indique une chose, évidente : je suis « fait Â» pour cela. Peut-être pas mon corps ou mes compétences, qui sont faillibles, mais mon esprit oui, assurément. Et je suis avant tout heureux d'en être conscient si tôt dans ma vie.

 

 

Saint Graal

Certains me firent la remarque : « Tu parles peu des gens Â». C'est vrai. Il serait hypocrite de grossir l'aspect social, voire humanitaire de la chose. Mon truc, c'est les montagnes. Voir comment on y vit, jusqu'où on peut aller, quelles limites on peut atteindre, tout cela via mon expérience personnelle. Le nombre et la beauté des rencontres faites grâce aux personnes que je cotoie et avec qui j'échange au quotidien, les constats que je dresse quant à la « chance Â» de vivre dans nos conditions occidentales... tout cela me met mal à l'aise à l'idée de l'exprimer dans ces pages. De mon point de vue, ce serait exploiter un côté confinant parfois au larmoyant, aux antipodes de l'état d'esprit que dégagent les « autochtones Â» qui VIVENT, et ne basculent pas dans le ressentiment.

Ces deux mondes, le « nôtre Â», et le « leur Â», sont incontestablement distincts en l'état. Avancer l'inverse serait à la fois malhonnête et irresponsable.

L'aspiration au progrès de ces pays doit être soutenue par des initiatives bien trop nobles pour que je ne feigne un quelconque engagement dédié en ce sens, dans le cadre de ce type de voyage.

 

Je ne souhaitais surtout pas déguiser mes volontés d'exploration géographique en projet "social". Si je le fais (et je le ferai), ce sera en me consacrant exclusivement à la cause défendue, une fois que j'aurai une connaissance plus détaillée de ces pays.

Quelques mots sur les photographies.

Au fil des pages qui je l'espère auront été agréables à parcourir, certains ont pu remarquer que les photos de personnes ne sont pas légion.

Sur les 2154 clichés pris (compte exact), une dizaine représente des visages. Comme j'ai pu le mentionner auparavant, mon voyage visait avant tout la découverte géographique. Les grandeurs du monde sont bien suffisantes pour combler mon émerveillement.

Les traits humains comportent une indéniable beauté dont il serait tentant d'abuser.

Je ne peux cacher mon malaise à la vue de ces hordes de trekkeurs télé-objectifs en bandoulière dont l'unique préoccupation était de capturer en hyper-gros plan la moindre frimousse de bambin passant dans leur champ de vision. J'ai cette conviction pour certains idéaliste, voire malhonnête, que la démarche d'un portrait implique un minimum à respecter. On ne capture pas l'Homme comme on part en safari.

Chaque portrait ou personne représentée à l'image dans ce carnet de route est le fruit d'un échange. Souvent bref, parfois plus long, à l'intensité variable, mais au cours duquel j'essayai (passé simple) de m'assurer de la « décence Â» de mon cliché. Cette démarche, faillible et aux très nombreuses limites, fut au moins un fil conducteur tout au long de ce périple.

Cet épilogue s'achèvera sur une branche. Après avoir cassé un de mes deux bâtons sur les pentes du Sanctuaire des Annapurnas, j'avais trouvé un robuste bout de bois, qui soutint mes pas de l'Annapurna au Camp de base de l'Everest, jusqu'à ma dernière heure en Inde. En montagne, le bâton de marche est un prolongement de soi. Sans lui, les efforts sont plus durs, les appuis plus précaires, les perspectives plus incertaines. Il était mon porteur, mon fidèle compagnon de route. Parler ainsi d'un objet si insignifiant peut sembler grotesque, mais dans des moments si éprouvants, où l'on ne peut compter que sur ses propres capacités physiques et mentales, tout soutien devient un ami proche. Un peu comme Wilson, le ballon de volley meilleur pote d'un Tom Hanks perdu sur son île déserte.

Je pus ramener « L'éclair Â» (c'est son nom, en grande partie dû à sa forme) de Lukla à Katmandou , puis de Katmandou à Delhi, avec la ferme intention de l'emporter avec moi jusqu'en France.

Au moment de déposer mon sac en soute, l'agent du service bagages me lança un inconcevable « Stick : to the trash Â». J'argumentai que la catégorie « hors-gabarit Â» était faite pour cela, et qu'il était impensable pour moi d'abandonner ce bâton, MON bâton, ici. En vain. Dix minutes de négociation plus tard, je dus me faire à l'idée que la trace de l'éclair s'arrêterait ici, posé sur une poubelle, avant de finir probablement sa course dans une des décharges à ciel ouvert d'une des villes les plus polluées au monde. Tout ce chemin pour ça.

« Quelle triste fin pour un si beau parcours Â» : telle fût ma pensée en ce moment, embrumée par le déchirement d'une séparation au petit matin ainsi que par la fatigue d'une nuit sans sommeil. Je pleurai la perte d'un être cher.

A tête reposée, la réalité est bien plus claire : j'avais juste fait voir du pays à un pote. Et que ce pays était beau.

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