CARNETS DE ROUTE D'UN PÉRIPLE AU LONG COURS
Trek du Sanctuaire des Annapurnas - Népal
Phedi - Camp de Base de l'Annapurna - Nayapul
7 jours - Dénivellé positif: 4120 mètres
20ème jour (1er jour de trek)
Pokhara - Phedi (1130m) - Tokla (1700m) ; -400m, +1000m
Absolu
Sans doute provoquée par l'excitation du premier grand trek, une belle insomnie s'empare de ma nuit au Nahohana Lodge. Je songe même un moment à reporter mon départ d'un jour, devant le famélique nombre d'heures de sommeil dont j'ai pu profiter ces 3 derniers jours. A 7h du matin et malgré des jambes un peu lourdes, je me décide à le ver le camp. Le patron me propose de laisser quelques affaires dans un casier, proposition acceptée bien volontiers. J'abandonne donc à Pokhara un sac rempli de quelques fringues et d'objets sans grande valeur, que je récupèrerai à mon retour.
300 roupies de taxi et 1 heure de bus plus tard, le chauffeur me dépose à Phedi, petit hameau de montagne, d'où commence le long et escarpé chemin vers le sanctuaire des Annapurnas. J'achète un bracelet à une dame à l'âge très respectable. Ce sera mon porte-bonheur du Népal. A 9h54, je me mets en route. La première ascension, décrite comme "très abrupte" par le Lonely Planet, est un véritable mur. L'escalier de pierre serpente dans la forêt tropicale, et m'oblige dès les premiers mètres à adopter un rythme extrêmement lent.
Sous un soleil de plomb, mieux vaut commencer tranquille. Je prends le temps d'admirer le travail de titan réalisé pour ériger cette trouée parmi la végétation, me disant que chaque pierre que je foule a dû être portée ici à dos d'homme. Le poids de mon sac (15 kilos) en devient de suite tout relatif.
J'arrive au bout de 2 heures au premier checkpoint, où je fais tamponner ma carte TIMS et me fais enregistrer parmi les trekkeurs en vadrouille dans le secteur. Le 2ème checkpoint, à Pothana, me fait entrer dans "l'Annapurna Conservation Area", pour laquelle j'avais dû obtenir un permis particulier.
En sillonant le village de Dhampus, j'ai cette vision parfaitement inédite depuis mon arrivée en Asie: des poubelles le long de sentiers! Les 2000 roupies dépensées pour accéder à cette zone de zone absolue se justifient bien mieux. Il y a donc encore un peu d'espoir dans pays ravagé par les déchets plastiques.
Vers 13h, j'atteins Pothana, où je comprends en regardant ma carte pourquoi mes jambes brulent légèrement, je viens de m'avaler 980 mètres de dénivellé positif en un peu plus de 3 heures. Bienvenue au Népal.
La carte m'indique également des belvédères d'où l'on peut admirer les mythiques sommets environnants, sauf qu'ajourd'hui, l'épaisse brume de poussière et d'humidité bouche toute vue, et au final, tout cela n'est pas si déplaisant. Progresser à quelques encablures des légendaires cimes de l'Annapurna et du Machhapuchhere sans les apercevoir procure la magnifique sensation d'évoluer sous leur oeil bienveillant. Je ne les vois pas, mais je sens leur présence. La visibilité médiocre (en grande partie due à la poussière en suspension) me fait espérer la pluie pour les prochaines heures. Ca tombe bien, le ciel s'encombre peu à peu de nuages pas encore tout à fait menaçants, mais suffisants pour m'offrir de l'ombre, qui n'est pas de trop en cette chaude après-midi d'Avril. S'il ne pleut pas avant, j'atteindrai ce soir le village de Tolka. Mes réserves ne semblent pas préoccuper les nombreux locaux à qui j'adresse la parole, tous m'affirmant: "No rain today, no rain today". C'est ce qu'on va voir.
La descente vers Tolka est longue et éprouvante. Je tombe par chance sur un joyeux Briton avec qui je tape la causette jusqu'à Tolka, où je m'installe dans le premier lodge venu: le "Sunlight", à la sympathique gérante pas toute jeune mais encore en forme. Content mais fatigué, j'enfile mes boules quiès et me plonge dans une sieste réparatrice. 1 heure plus tard, je suis réveillé par le vacarme assourdissant des grêlons se fracassant contre le toit de tôle ondulée sous lequel je dors. Je l'avais bien senti: il pleut à torrents. On n'apprend pas au vieux singe à faire la grimace.
Nous nous retrouvons alors au coeur d'un très violent orage, à la juste dimension des montagnes environnantes. Cette averse est une bénédiction pour les prochains jours: l'eau purge l'air de ses impuretés. Cette fois, je les aurai mes paysages, et bien plus tôt que prévu. En 10 minutes, les nuages laissent place au soleil rasant de cette fin d'après midi et juste là , derrière la colline laquelle est nichée, apparait l'Annapurna. Les lumières d'après-orage sont toujours très belles. Ajoutées au contexte et à ce cadre, l'ensemble vire au grandiose absolu. Chaussé de mes simples tongs, je longe le sentier taillé à flanc de montagne pour mieux profiter du spectacle, que je partage brièvement avec Maman, grâce à l'excellent réseau mobile de Nepal Telecom.
J'explose en larmes, assez prévisiblement, devant cette parfaite représentation du sublime tel que je le conçois. Remis de mes émotions, je tombe avec grand appétit mon dhal-bat avant un coucher avancé par la coupure de courant de 20h. Quelle journée. Et ce n'est que le début.
Mise à jour du soir: le coin est peuplé d'innombrables mais inoffensifs papillons de nuit et de chauves-souris dont une qui virevolte dans la salle à manger pour profiter du festin. Quand on tombe dessus dans le noir, à la seule lueur de sa lampe frontale, ça fait quand même bizarre.
La TIMS (le permis local)
Ma première vue de l'Annapurna. Y a pire.
En chemin
C'était ça tout le temps
21ème jour (2ème jour de trek)
Tolka (1700m) - Chomrong (2170m) ; - 450m, + 900m
Vertical Limit
Les derniers orages de la nuit sont passés. J'attaque donc ce 2ème jour de trek sous un grand ciel bleu, et de bonne heure (7h30). Le parcours me conduit d'abord de Tolka à Landruk (200m D-) en deux petites heures. Me voilà déjà à mi-chemin (si l'on se fie aux distances à vol d'oiseau) et je trouve ça assez suspect. Arrivé au point le plus bas de la journée (Himalapani, 1372m), je prends le temps de préparer ma potion miracle à base de sucre acheté à l'épicerie de Pokhara et d'un litre d'eau. Très simple, mais efficace pour donner un coup de jus quand nécessaire. J'inaugure également mes pastilles de Micropur, que j'utilise pour traiter un petit litre d'eau recueilli dans la rivière. On verra bien ce soir si mon estomac supporte le changement. Mon portefeuille, lui, s'en contenterait bien (2 bouteilles à 200 roupies l'unité par jour, ça fait un petit budget).
Après avoir croisé et parlé 2 minutes avec un couple d'anglais rencontré la veille, je me lance dans l'ascension vers Chomrong depuis New Bridge (1350m). Il est alors 11h20, et je me prépare mentalement à encaisser 800 mètres de D+, à travers un pan de montagne si raide qu'on se demande comment comment un sentier peut être tracé là dedans. Les escaliers de pierre (toujours aussi impeccablement réalisés et entretenus) m'emmènent à travers une forêt d'abord dense, puis plus éparse au fur que je gagne en altitude. La chaleur, accablante, m'oblige à de fréquentes pauses.
Je suis accompagné dans mes pas par le bruit d'une étrange procession qui progresse au son de tambours et de cymbales quelques dizaines de mètres au dessus de moi. J'apprendrai plus tard par mon voisin de chambrée japonais qu'il s'agissait d'un rituel annuel pour tous les enfants de moins de 16 ans. Dans des pentes si abruptes, on sait bien former sa jeunesse à l'effort ici.
J'arrive enfin à Chomrong, 2180m, vers 13h45. Le village offre un panorama époustouflant sur la vallée que je viens de traverser, mélant collines ciselées par les rizières en balcon, forêt sauvage, et sommets, dont la vision reste bloquée par d'épais nuages. Je pose mes affaires au "Fishtail Guesthouse" (Fishtail ("queue de poisson") étant le surnom donné au Machhapuchhere, montagne sacrée (seul sommet jamais gravi de l'Himalaya népalais) dont on peut admirer les lignes élancées depuis la terrasse, et par temps clair.
Après une douche chaude miracle, j'allai me réapprovisionner en eau potable au "Safe Drinking Water Project", réseau mis en place par l'Annapurna Conservation Area Project, qui met en vente de l'eau purifiée sur place. A 70 roupies le litre, j'y trouve mon compte, et c'est bon pour la planète. Tout bénef donc.
J'attaquerai demain la vraie moyenne motagne, jusqu'à Bamboo, 2500. D'ici là , j'attends avec impatience le Dhal Bat de ce soir. Je me contente en effet d'une seul "vrai" repas par jour (celui de ce soir donc). Jusque là , ce régime me va bien. Pour combien de temps? On verra.
Le sac solitaire | Annapurna Sud depuis Tolka |
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Des pieds à Chomrong | Sur le chemin de Chomrong |
22ème jour (3ème jour de trek)
Chomrong (2170m) - Himalaya Hotel (2920m) ; - 250m, + 920m
Bouchées doubles
"C'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur"
L'étape du jour me fera passer de la forêt encore tropicale de la vallée à la "vraie" montagne, que j'atteindrai vers Bamboo, où je dois passer la nuit prochaine. L'abrupte descente après Chomrong nous met directement en jambes.
En chemin, je tombe sur cette scène assez insolite d'un groupe de jeunes népalais en pleine partie de volley-ball, au beau milieu des rizières. Je croise également ce couple russe aperçu hier matin, qui a moins de chance que moi: le gars a attrapé un parasite et doit redescendre. A ce propos, mon estomac semble s'être bien fait au Micropur. Bonne nouvelle au moment d'arriver au village de Sinuiwa, où le litre d'eau purifiée passe de 70 à 130 roupies. J'ignore si je dois mettre ça sur le compte de l'excellente nuit de sommeil passée à Chomrong, mais je me sens très bien aujourd'hui. Mes jambes et mon souffle répondent parfaitement, me faisant atteindre Bamboo (destination initiale du jour) sur les coups de midi, après 4 heures de marche efficace pourtant menées sous un soleil toujours aussi franc. L'heure quasi-matinale de mon arrivée à destination me pousse à prolonger ma marche. Les quelques nuages et la fraicheur de l'air d'altitude (nous sommes désormais à 2400 mètres) me font progresser à un rythme soutenu vers Doban, prochain "village" en amont. Ce changement de plus chemin est précisément l'illustration des raisons m'ayant poussé à voyager sans guide et sans porteur. L'autonomie, dans ce type de circuit, est la meilleure solution pour s'assurer un périple conforme à sa forme du moment et à ses envies. J'atteins Doban en une heure (bien moins que prévu), où je compte poser mes affaires et passer la nuit. Problème: les 3 lodges sont complets. Pas d'autre solution donc que de monter encore plus haut à "Himalaya Hotel", que je n'étais censé atteindre que le lendemain au soir. Je dois donc m'encaisser 350 mètres de dénivellé en plus, mais je les avale toujours aussi bien. Au final: 2 jours de marche en 6 heures 30 d'effort presque plaisant. Je suis décidemment bien plus à l'aise au delà des 2500 mètres, où l'air devient un allié, et non plus un poids avec lequel composer. Je pense également avoir trouvé après 3 jours de marche mes vrais rythmes de progression, tant quant à la cadence de mes pas, au placement de mes bâtons, qu'à la fréquence de ma respiration.
L'air frais est désormais un véritable carburant, qui me relance et tonifie à chaque inspiration. Le terrain, toujours aussi irrégulier et pentu, ne semble plus me poser les problèmes des premiers jours. Je passai la dernière heure de marche vers Himalaya Hotel en compagnie de Dennis et Jeff, 2 californiens rencontrés en chemin. Je presse cependant le pas afin de m'assurer une place de choix au moment de trouver un lit pour ce soir. Vers 14h40, j'arrive à Himalaya Hotel, hameau littéralement coincé entre les deux versants d'une vallée qui prend désormais de vrais airs de haute-montagne, en dépit de la végétation encore très présente malgré les 2900 mètres d'altitude.
J'aperçois depuis la cour extérieure quelques points haut-perchés à flanc de montagne: probablement des "Himalayan Yars" (le chamois local), ou autre représentant d'une faune pas effrayée par les pentes abruptes de la base de l'Annapurna Sud. Ce soir, je dormirai dans un bon vieux dortoir de famille, accompagnés de camarades de chambrée japonais, canadiens, US, et néo-z.
L'ambiance de l'endroit est un réel bouleversement. Les vestes de montagne et les bonnets sont désormais de rigueur, et ce n'est pas vraiment pour me déplaire. La population est également bien plus uniforme (grande majorité d'Européens complétée par une bonne diaspora japonaise). Le bon gros orage syndical éclate vers 17h. Aucun souci, tout le monde est bien à l'abri. J'atteindrai demain mon premier camp de base himalayien, celui du Machhapuchhere. L'appelation "camp de base" est toutefois erronée pour ce sommets puisque, maison des divinités oblige (on parle quand même de la demeure de Shiva là , c'est du sérieux), aucune ascension n'a jamais été tentée (sauf une, incomplète, en 1957).
"Désolé, c'est une soirée privée".
"Je suis comme un gladiateur Desperado envoyé en enfer pour une mission commando"
L'Annapurna I fût vaincu pour la première fois par Maurice Herzog. Le mec était tellement puissant que la carte népalaise le compte pour deux.
Soyons honnêtes, personne n'a jamais su comment orthographier cette montagne.
Une avalanche de 200 mètres de large vous coupe le sentier, le passage est réputé dangereux, et vous êtes seul. Que faites vous ?
Réponse A) : J'emprunte le pont situé en contrebas, traverse la rivière, et continue via le chemin sur l'autre versant
Réponse D, comme Débile) : De toute façon, la neige a durci, je peux marcher dessus. Et puis les blocs de glace, c'est marrant à enjamber.
Le Macchhaphuchhere, unique montagne jamais gravie du Népal. Sans doute pour des raisons de syntaxe.
23ème jour (4ème jour de trek)
Himalaya Hotel (2920m) - Camp de base du Machhaphuchhere (3700m) ; + 800m
Imprudences
Je pars me coucher à 19h30 dans le dortoir du lodge. Je fis auparavant plus ample connaissance avec 3 trekkeurs fous, qui partage le dortoir. Charlie, un canadien qui vient de traverser l'Asie à moto, Eric, un US, et Eve, néo-Z dont la ressemblance avec Saskia (une bonne amie) m'amuse bien.
Les trois lurons viennent de s'avaler le Tour des Annapurnas en 17 jours et s'accordent un peu de rab' avec le sanctuaire. Le diner dans la salle à manger de la guest-house est très convivial. A vue du nez, une bonne dizaine de nationalités représentées autour de la grande table collective. Le dhal-bat, fort apprécié de tous, laisse place enfin de repas à un concours de "dégustation de piments", dans lequel je ne m'aventure pas. Une malaisienne bien sympathique m'apprend au passager les basiques (bonne nuit, bonjour..) en malais. Sur ce, je pars me coucher.
La nuit s'achève vers 6h15, où je sors immédiatement pour apprécier le paysage la veille bouché par l'orage approchant. Le sac fait et l'omelette descendue, je commence la marche vers le MBC en compagnie des 3 trekkeurs fous dont je parviens à accrocher le rythme. Fraicheur (relative) des jambes aidant, je les décroche au train et déboule seul dans la zone réputée avalancheuse de l'itinéraire. Le sentier, en fond de vallée, est cerné de tous bords par d'abruptes falaises, desquelles "dégueulent" régulièrement de massive coulées de neige, roche, et glace. Je m'engage sur le versant ouest (au soleil), pourtant coupé par une énorme avalanche datant d'un bon mois. Je parviens non sans mal à me frayer un chemin parmi l'amas de glace et à franchir l'obstacle. Je ne suis cependant pas fier de moi: j'aperçois un sentier "bis" sur l'autre versant, que j'aurais sans doute dû emprunter. La leçon est retenue.
La limite pluie/neige est désormais franchie. Les groupes progressent dans une neige progressivement réchauffée par le soleil matinal. Probablement pas habituée à la neige, la jointure d'un de mes batons (contrefaits) cède. Après une tentative infructueuse de bricolage, je me résigne à continuer mon ascension amputé d'une de mes 4 jambes. Je tacherai de trouver un bambou convenable comme substitut de fortune. Par chance, une forêt dudit végétal se situe à un jour de marche en contrebas. Ou ça? A Bamboo tiens.
J'arrive au terme d'une rapide ascension au MBC (Macchhaphuchhere Base Camp) sur les coups de 11h. Si le changement d'altitude n'avais pas été si conséquent (2900m - 3700m), j'eus probablement continué jusqu'à l'objectif final de l'ABC (Annapurna Base Camp). Je ne peux cepenant pas risquer une montée à 4 200 mètres en une matinée. Je me sens parfaitement bien, mais voyageant seul, je dois limiter les imprudences. Celle de ce matin suffit largement.
Petite remarque: les sorties de pause lors des ascensions sont désormais plus laborieuses. Les jambes brulent au moment de reprendre l'effort. Altitude? Fatigue musculaire? Sans doute une savante combianaison des deux. Très agréablement surpris par mes réserves en roupies, je m'autorise un exceptionnel déjeuner chaud en compagnie de frères/soeurs allemands bien sympathiques, où je me gave de momos légumes/fromage. Petite entorse au règlement que je m'impose, certes, mais que je peux me permettre vu le rythme de dépenses très (trop?) raisonnable que je tiens depuis le début du trek (à peu près 800 roupies/jour, soit un peu plus de 6 euros).
L'ambiance du dining room me plait beaucoup. Tout le monde se retrouve autour de la grande tablette pour passer l'après-midi ensemble. Les langues pratiquées partent dans tous les sens, et ce joyeux bordel est vraiment convivial. Un bon meltin-pot en altitude somme totue. Sur la banquette, les guides tapent le carton entre eux et jouent leur paie du jour.
24ème jour (5ème jour de trek)
MBC (3700m) - Camp de Base de l'Annapurna (4200m) - Dobhan (2600m) ; +500 , -1600
En terre promise
L'alarme programmée par précaution ne m'est d'aucune utilité. A 4h50 (et réveillé par l'excitation de l'ultime ascension), je sors de mon Deuer 4 saisons pour les derniers préparatifs. J'équipe mon Canon de sa batterie, dont j'avais pris soin d'optimiser ses capacités restantes en la gardant au chaud sur moi pendant la nuit (par les -2 degrés ambiants dans la chambre, elle se serait déchargée).
L'ascension commence au petit matin, à la frontale, et seul sur le chemin de neige tracé sur le flan droit de la montagne. Après 2 raidillions bien casse-pattes en cette heure très matinale et à cette altitude, la montée se poursuit en pente douce jusqu'au camp de base. Toute la marche durant, je fais face au majestueux Annapurna Sud, rosi par les premiers rayons de soleil. Une fois de plus de sitôt passé le panneau annonçant notre arrivée au camp de base, ma gorge se noue et de chaudes larmes roulent sur mes joues rougies par le froid tranchant. Ces émotions m'interrogent beaucoup, et je pourrai sans doute y trouver certaines réponses quant à mon avenir au sens large. Il ne serait pas cohérent d'ignorer ce qui manifestement s'impose à moi.
Je progresse à travers le champ de neige en direction de la moraine glaciaire. Un monticule de terre me sert alors de promontoir, où je reste de longues minutes prostré, immobile, devant l'immensité. Une silhouette au loin me fait alors de grands signes. Daisuke, rencontré à Chomrong il y a 2 jours, se joint à moi au milieu de ce spectacle grandiose. J'apprécie sa compagnie chaleureuse, bienveillante et complice, malgré le sensible écart d'âge (il vient d'avoir 30 ans).
Malgré une batterie à l'agonie, mon appareil parvient à mitrailler les scènes se présentant à nous, et qui vaudront surement de très bons clichés. J'axe mon attention sur la cime fascinante du Machhaphuchhere, que j'avais déjà pourtant bien capturée.
J'effectue la redescente en compagnie de Britanny (USA), Sarah (UK) et leur guide (un bon népalais au rire inimitable). Nous croisons en chemin Jeff et Dennis, avec qui j'avais fait la marche entre Dhoban et Himalaya Hotel. Quelques photos souvenir et des échanges de mail ne sont pas de trop au moment d'un au revoir convivial, au beau milieu du cirque des Annapurnas.
De retour au MBC, je flâne quelques instants au soleil, profitant des derniers instants dans ce cadre à la fois si saisissant et apaisant.
Vers 11h, j'entamai ma redescente veres la vallée, en solitaire. Cette liberté de mouvement m'interpelle alors une fois de plus: puis-je concevoir sensation plus magnifique que celle de cheminer comme bon me semble, à près de 4000 mètres et sous un ciel bleu profond, en maîtrise (presque) totale de mes capacités?
3 bonnes heures plus tard, je stoppe ma descente à Dhoban, où je partage ma chambre (finis les dortoirs) avec Mace, néo-Z d'Auckland. J'en profite pour lui lâcher quelques infos sur le parcours, lui qui se rend au MBC demain.
Demain, toujours, sera une très grosse journée, me menant (si mes jambes l'acceptent) de Dhoban à Gandruk (7 heures de marche prévues). Une bonne nuit ne sera pas de trop.
Ca se voit pas comme ça, mais il fait très TRÈS froid
EXCLUSIF: La montée vers le camp de base de l'Annapurna dans la peau d'un myope sans lunettes
Tout en haut
25ème jour (6ème jour de trek)
Dobhan (2600) - Jhinu (1750) ; - 850m
Chute libre
Jour de descente par excellence. Les grands moments sont passés, mais le chemin du retour offre encore de belles choses, telles que cette traversée de l'épaisse forêt de rhododendrons en fleur s'étalant entre Bamboo et Sinuwa.
Le matin, je dis au revoir à Mace, qui s'installe en Europe dans un mois (probablement à Londres), et entame ma marche de bonne heure. La grosse difficulté du jour (descente abrupte vers la rivière en contrebas de Chomrong puis remontée par le très raide (et long) escalier menant au village) passe assez bien. Les 400 mètres de dénivellée sont avalés en compagnie de Shannon, une californienne également sur le chemin du retour. Plus haut dans la vallée, l'orage gronde déjà . Mon pote Mace, qui montait vers le MBC, doit passer un sale et humide quart d'heure.
En arrivant au sommet de la colline sur laquelle Chomrong s'étand de bas en haut, quelques grosses se chargent de nous rafraichir. Il est clair que ni le temps menaçant ni l'envie ne me permettent de rallier Gandruk ce soir. J'opte donc pour une solution plus "sage", à savoir m'arrêter à Jhinu, à mi-chemin de la descente après Chomrong, village bien connu pour ses sources et bains d'eau chaude. Je ne les fréquenterai pas cet après-midi là , préférant m'envoyer une bonne sieste de deux heures.
Arrivé à Jhinu, j'eus le temps de craindre une pénurie de lits disponibles (les 2 premières guest-houses étaient pleines), la faute à ces énormes groupes coréens ou chinois, monopolisant à eux seuls parfois un village entier. J'arrivai cependant à me trouver une place dans le dortoir (de trois lits) de "l'Hotel Tibet", modeste barraque où je retrouvai les trekkeurs fous abandonnés la veille sur les pentes menant à l'ABC.
26ème jour (7ème jour de trek)
Jhinu (1750) - Nayapul (1070) puis Pokhara; - 680m
Parmi les hommes
Dernière journée de retour à la "civilisation" assez banale. J'emprunte le chemin peu fréquenté ralliant directement New Bridge à Kyumi. Le sentier, alternant longues portions de plat à flanc de montagne et escaliers abrupts, me mène jusqu'à Siyauli Bazar, où des convois de jeeps attendent les dizaines de trekkeurs chinois dépassés en chemin. Je ne cède cependant pas à la tentation d'une fin assistée et rejoinds Nayapul par la piste poussiéreuse rejoignant le début de la vallée.
Je traverse de nombreux petits villages, témoins de mon retour à la vie "normale", et suis au passage irrité par la mécanique infaillible des gamins que je croise, me saluant systématiquement par un "Namastégivemesweet" ("bonjourdonnemoiunbonbon") aussi impersonnel qu'automatique. La fatigue de fin de trek combinée à la chaleur revenue avec l'altitude décroissante me rend assez froidement hermétique à leurs demandes. Un désenchantement au beau milieu d'un rêve?
A mon arrivée à Nayapul, un taxi m'accoste et me propose le retour à Pokhara pur 1500 roupies, que je fais baisser à 1000, direction le lodge où j'avais passé ma nuit d'avant-trek.
Le trajet en taxi (et dépose au lodge) n'est pas un si mauvais calcul pour le retour. Prendre le bus aurait été bien plus long (2 heures minimum), chaotique, et au final pas énormément moins cher, sachant que le taxi aurait été dans tous les cas nécessaire pour rejoindre le lodge (300 roupies la course). Me voilà donc en une demi-heure à mon Nahohana Lodge, dans lequel je remménage sur les coups de 14h. Du balcon, j'aperçois le parc d'attractions (couplé à une grande scène) dressé sur les rives du Phewa Lake à l'occasion des festivités du nouvel an népalais que l'on célèbre ce soir. Demain, nous serons en 2071. Si si. Le temps passe vite.
Christophe Chafcouloff
Images, vidéos et textes: Christophe Chafcouloff.
Matériel: Canon Eos M + GoPro 3+ Black.